La franchise Hunger Games annonce-t-elle ce que pourrait devenir Koh Lanta ? Entre action et satire médiatique, ce second opus est supérieur au précedent…
Si vous avez manqué le premier Hunger Games, ou si vous en avez gardé un souvenir flou, voici un petit rappel des faits. Il s’agit d’une dystopie s’appuyant sur un argument proche de celui de Battle Royale (Kinji Fukasaku) : dans la ville de Panem se tiennent chaque année les Hunger Games, un jeu mortel impliquant des jeunes et imposé par le gouvernement, le Capitole, pour punir les districts qui ont tenté de se soulever par le passé.
Les règles sont simples : un garçon et une fille âgés de 12 à 17 ans sont sélectionnés dans chacun de ces districts pour devenir les « tributs » du jeu. Jetés dans une arène qui ressemble à une île tropicale, ils devront s’affronter jusqu’à la mort. Le point de vue adopté est celui de Katniss (Jennifer Lawrence), une jeune fille qui vit de braconnage et de troc dans le 12e district, et qui se porte volontaire pour remplacer sa petite sœur sélectionnée. Elle combat aux côtés de Peeta Mellark (Josh Hutcherson), tribut mâle de son district.
Dans le premier film, figurez-vous que Katniss et Peeta ont gagné le jeu ! Une victoire amère puisque les autres concurrents ont connu la mort, y compris la petite Rue qui s’était révélée une précieuse alliée. Dans le second film, Katniss est devenue une véritable idole à Panem. Or Peeta et elle seront à nouveau contraints de participer aux Hunger Games. Ce qu’ils ne savent pas, c’est que le Capitole a déjà prévu de manipuler le jeu.
Le jour où j’ai décidé de donner une seconde chance a Hunger Games
Lorsque j’ai vu le premier Hunger Games, je n’avais jamais entendu parler de la série de romans de Suzanne Collins. Je cultive cependant une certaine sympathie pour cette littérature populaire qui prolifère depuis quelques années, et dont le cœur de cible est un public d’adolescents à la fois réconciliés avec la lecture et amateurs de fantastique et de science-fiction.
Toutefois, malgré son pitch alléchant, le long métrage de Gary Ross n’était pas parvenu à me convaincre, ni même à séduire l’adolescente qui sommeille encore en moi. Au rang des défauts, j’incrimine une réalisation paresseuse, une écriture sommaire des personnages et un traitement trop timide du sujet. Certes, Hunger Games cible un public jeune, à l’inverse du chef d’œuvre Battle Royale qui s’adresse exclusivement aux adultes. Il n’empêche, j’attendais mieux du réalisateur de Pleasantville et de Pur Sang.
Les aventures de Katniss me sont donc vite sorties de l’esprit.
Mais je l’avoue, à l’arrivée en salles du second opus, j’ai réalisé que j’avais quand même envie de savoir la suite, d’autant que la réception critique était plutôt bonne. Et si le second épisode était meilleur ? Je me suis donc rendue un samedi soir dans le multiplex du coin, au milieu de tous les jeunes et les ados. Histoire de faire comme eux, j’ai même dîné sur place.
A l’arrivée, Hunger Games : L’Embrasement n’est pas le film de l’année, loin de là. Mais il mérite que l’on s’attarde sur son cas, et ce, pour une bonne raison : il s’agit d’un des rares blockbusters actuels destiné aux jeunes et doté d’un propos, au lieu de se reposer uniquement sur un déluge d’effets numériques. Ça change des Avengers, Man of Steel et consort.
Un changement de réalisateur bienvenu…
C’est le cinéaste Francis Lawrence, à qui l’on doit Je suis une légende et De l’eau pour les éléphants, qui écope de ce chapitre et qui devrait d’ailleurs, si tout va bien, réaliser les suivants. Ses longs métrages sont certes de qualité inégale, mais Lawrence est aussi connu pour avoir signé plusieurs des clips vidéo majeurs de ces dernières années, parmi lesquels le surréaliste Bad Romance de Lady Gaga et le magnifique Run The World (Girls) de Beyoncé.
Calmons tout d’abord notre enthousiasme : il n’est pas question de refonte esthétique du genre de celle qui avait marqué la franchise Harry Potter avec l’arrivée d’Alfonso Cuaron à la réalisation du 3e opus. Hunger Games : L’Embrasement s’inscrit dans la continuité visuelle de l’épisode précédent, c’est-à-dire jouant sur une esthétique sans grande personnalité.
Là où le changement de réalisateur s’avère bénéfique, c’est dans l’action. Alors que Gary Ross abusait des gros plans, ce qui rendait les combats difficilement lisibles, Francis Lawrence rectifie le tir en s’autorisant un peu plus d’ampleur dans le rendu de l’action, ce qui permet enfin de voir les mouvements des acteurs.
Certes, Francis Lawrence n’est pas aussi inspiré par Jennifer Lawrence que par Beyoncé (les images de Run the World (Girls) étaient d’une rare puissance), mais les plans de Hunger Games : L’Embrasement sont propres et le travail du cinéaste ne dépare pas par rapport à celui d’un Joss Whedon dans Avengers.
A ce titre, si l’on devine très vite que les héros retourneront dans l’arène, l’histoire n’est pas négligée pour autant au profit d’une surenchère d’action, comme c’est trop souvent le cas dans les seconds épisodes de franchises (on se souvient du cas Underworld).
Sachant que le budget du film est de 130 millions de dollars environ (contre 78 millions pour le précédent), il faut reconnaître que les effets spéciaux sont plutôt bien utilisés, quand ils ne sont pas franchement élégants (la robe enflammée, la robe de mariée transformable), sans se faire envahissants.
Comparé aux récents blockbusters de super-héros, où les acteurs sont parfois réduits à des formes abstraites, perdues dans une bouillie digitale (voir le récent Man of Steel), les acteurs de Hunger Games : L’Embrasement ont une réalité physique dans le film.
Ça tombe bien : l’arène du jeu fourmille de pièges assez bien trouvés, ce qui donne lieu à des péripéties plus fun que dans l’opus précédent, où l’héroïne passait tout de même beaucoup de temps perchée sur un arbre, à attendre que ça se passe.
Cette fois-ci, entre les singes sauvages, les brouillards viciés et les coups tordus des adversaires, Katniss n’a pas beaucoup le temps de souffler. On regrette juste que l’arène ne se différencie pas davantage de la précédente.
… mais un déficit de tension dramatique
Là où le bât blesse, c’est dès lors qu’il s’agit du développement des personnages : je ne sais pas ce qu’il en est dans les romans de Suzanne Collins mais dans les films, il manque un travail de caractérisation des protagonistes.
Ce défaut d’écriture est devenu un vrai problème dans les blockbusters depuis quelques années : c’était le handicap des Twilight, dont les héros manquaient de consistance, mais c’est également le souci dans un film comme Avengers, où les scénaristes se reposent sur le cabotinage des acteurs.
Au moins dans le premier épisode de Hunger Games, Peeta apparaissait d’abord comme arrogant, donc imparfait, ce qui lui donnait immédiatement du relief. Dans Hunger Games : L’Embrasement, il est devenu trop lisse, donc barbant. Parmi les autres joueurs, heureusement que Johanna (Jena Malone), est là pour mettre un peu d’ambiance parce que les autres s’avèrent assez ennuyeux.
Leur meilleur moment reste la scène plutôt bien faite où Katniss les rencontre pour la première fois, et où ils apparaissent tous comme des psychopathes en puissance. Une fois plongés dans le jeu, ils s’avèrent assez décevants, à l’exception peut-être de Mags (Lynn Cohen), femme âgée entretenant une relation ambigüe avec un jeune homme (il est rare de voir ça dans un film grand public !).
Hunger Games : L’Embrasement a tout de même le mérite de ne pas être totalement dépourvu d’émotion ; l’hommage à la petite Rue est même carrément émouvant.
D’autre part, si le costumier Cinna me sort un peu par les yeux (Lenny Kravitz est transparent), j’ai bien aimé Effie Trinket (Elizabeth Banks), sorte d’attachée de presse hallucinée qui s’avère, de par le mélange de futilité et de sincérité qu’elle dégage, étrangement attachante (sans jeu de mot !). Elle apparait chaque fois parée de ses plus bizarres atours, à raison d’une tenue par séquence – les costumiers se sont lâchés et ils ont eu bien raison.
Reste quelques gueules charismatiques, telles que Donald Sutherland, Philip Seymour Hoffman et Woody Harrelson, pour donner davantage d’assise au film.
Le bilan est donc mitigé pour les personnages. La tension pure et dure, quant à elle, celle qui prend aux tripes et que l’on s’attend logiquement à retrouver dans un tel film, manque franchement à l’appel.
Souvenez-vous de Gladiator et de ce grand moment de cinéma juste avant le tout premier affrontement : les gladiateurs terrorisés dans l’obscurité moite de l’antichambre de l’arène, les hurlements barbares provenant du hors champ, la musique qui gagne en puissance… Certes, Hunger Games s’adresse à un public beaucoup plus jeune. Mais de là à enchaîner les scènes pépères à quelques minutes de bobine du jeu, pour ne faire surgir le stress qu’au tout dernier moment, il y a un peu d’exagération.
Pour la prise de risque, on repassera. On est loin de la noirceur des trois derniers opus de la franchise Harry Potter. Dans Hunger Games : L’Embrasement, on a la désagréable impression que les producteurs ont eu peur d’effrayer leur public-cible (et ils ont certainement tort) et que la violence du propos n’est pas totalement assumée.
Le rapport des jeunes à la politique en question…
Car oui, il y a un propos dans Hunger Games. Et à l’heure où les films de super-héros souffrent d’un vide idéologique intersidéral, quand ils ne délivrent pas un message tout bonnement nauséabond (voir Man of Steel), qu’un film comme Hunger Games, qui met pour une fois en avant une héroïne, ait un contenu est presque devenu un luxe. Cela explique en tout cas l’indulgence de la presse à son égard.
C’est surtout en tant que film d’anticipation que Hunger Games marque des buts. Outre le cinéma japonais (Battle Royale et autres game movies) et le roman américain Running Man (Stephen King) ou son adaptation filmique avec Schwarzenegger, le concept du jeu puise ses inspirations aussi bien dans le mythe de Thésée et du Minotaure que dans les combats de gladiateurs de l’Empire Romain, le tout mâtiné d’un zest de jeu vidéo.
L’argument SF, quant à lui, ne s’appuie pas uniquement sur des décors futuristes mais aussi sur un cadre politique, celui d’un monde totalitaire qui n’a plus rien à offrir, où les rêves sont éteints. Du moins pour qui ne font pas partie de la classe privilégiée.
A l’heure où la jeunesse occidentale a perdu foi en la politique – un contexte justement propice à l’émergence de dictatures – il est intéressant de voir que le film qui fait massivement venir les jeunes dans les salles obscures repose sur un tel argument. Et que l’héroïne à laquelle des millions d’adolescentes veulent ressembler (les inscriptions aux clubs de tir à l’arc ont explosé aux USA) est une jeune fille qui garde son indépendance d’esprit et ses valeurs, même lorsqu’elle est poussée dans ses retranchements.
… et la téléréalité dans la ligne de mire
On peut également voir l’univers de Hunger Games comme une allégorie du monde rigide et cruel des adultes. Ces derniers n’hésitent pas à réduire les jeunes à l’état de marchandises tout justes bonnes à être sacrifiées sur l’autel du divertissement. Ce qui nous amène à une autre thématique du film : la téléréalité.
L’attaque est évidente. Elle est sévère mais aussi paradoxale puisque ce sont surtout les jeunes, soit la cible-même du film, qui regardent en priorité la téléréalité. Certes, le jeu est ici une punition, mais il est mis en scène comme un divertissement télévisuel. Le dispositif de caméras futuristes donne la possibilité de cadrer les joueurs en gros plans pour filmer leurs émotions, de manière à ce que le public ait l’impression de suivre un feuilleton TV. Comme dans la téléréalité.
D’ailleurs, juste avant le début du jeu, les combattants doivent se prêter à une promotion médiatique absolument grotesque : sur le point de s’entretuer à l’arme blanche, ils sont érigés en véritables stars sur le plateau télé de Caesar Flickerman (Stanley Tucci, excellent), l’hilarant animateur aux cheveux gominés et aux dents blanches qui présente le programme ouvrant les festivités.
Je n’ai pu m’empêcher de penser aux primes de Secret Story, des Anges de la téléréalité, de L’Ile des Vérités et autres programmes-poubelles qui gangrènent nos ondes. Cette séquence est l’une des plus réussies : on retrouve à la perfection l’hypocrisie des médias vis-à-vis d’une forme de violence qui ne s’exerce que sur des personnes vulnérables, socialement ou psychologiquement.
Je ne vais pas y aller par quatre chemins : je considère la téléréalité telle que nous la concevons en Occident, comme une forme de proxénétisme à part entière, à ceci près qu’elle se cache derrière un star system aussi éphémère que bidon.
Le problème, c’est que le développement de la téléréalité s’est fait en même temps que l’introduction des codes et du vocabulaire de la pornographie dans les émissions du quotidien. Une brèche s’est ouverte et elle est devenue tellement large qu’il est désormais difficile de revenir en arrière.
Mais il y a plus : les rapports humains mis en scène dans ces programmes s’avèrent souvent d’une violence inouïe, entre les séquences de dénigrement d’un participant par les autres, le rituel de l’exclusion de candidats par le groupe, les agressions verbales ou même physiques…
Les téléréalités vont-elles devenir les combats de gladiateurs de demain ? Face au besoin de voir la violence et la mort, les sociétés développées ont engendré le cinéma et la télévision, qui font presque parfaitement illusion et offrent un précieux moyen de catharsis. C’est tout l’intérêt de la violence dans la fiction.
Avec la téléréalité, le spectateur est invité à se repaître de la violence sans que n’intervienne aucun processus de distanciation comme c’est le cas dans le cadre d’une fiction. En plus d’être toxiques pour les spectateurs, ces émissions font des dégâts sur les candidats : citons le double-drame de Koh Lanta (la mort d’un candidat suivie du suicide d’un médecin), l’agression dans La Ferme des Célébrités* ou encore les multiples suicides d’anciens participants à des émissions de ce genre à travers le monde.
Le niveau intellectuel de plus en plus bas des candidats tend à légitimer l’acceptation de cette violence par le public, y compris le public éclairé, tout comme la condition d’esclaves des gladiateurs légitimaient l’indifférence du public romain.
Avec son pitch de jeu mortel ultra-médiatisé et sous ses dehors de divertissement inoffensif et grand public, Hunger Games pousse le concept de la téléréalité jusqu’au bout et pose une question importante aux jeunes d’aujourd’hui : est-ce le monde que vous désirez construire ? Si un roman ou un film populaire peut les faire un tant soit peu réfléchir, en parlant leur langage, sur les programmes qu’ils absorbent sans aucun esprit critique, alors la franchise Hunger Games trouve largement sa raison d’être.
Les Japonais toujours imbattables dans le genre du game movie
D’un point de vue de cinéphile, cependant, je recommanderais davantage les productions japonaises du genre. Depuis Battle Royale et son allégorie sur l’entrée dans le monde des adultes, avec tous les rapports de domination et de compétition que cela implique, le game movie est devenu un genre à part entière au Pays du Soleil Levant, puisant bien souvent ses inspirations dans les mangas. Si certains ne resteront pas dans les mémoires (The Incite Mill), d’autres apportent une réflexion pertinente sur le monde actuel, d’autant que les scénaristes japonais ont une affection toute particulière pour les énigmes.
Inspiré du manga du même nom de Nobuyuki Fukumoto, le film Kaiji de Toya Sato évoque la cruauté de la société de consommation, notamment à travers une épreuve de longue haleine où les personnages évoluent dans un cadre clos et souterrain recréant les rapports sociaux entre salariés, patrons et commerçants. Le film mêle par ailleurs habilement les jeux cérébraux et les challenges physiques (on se souviendra longtemps de la traversée du pont séparant les deux gratte-ciels !). De son côté, le manga Gantz, (Hiroya Oku) ainsi que ses adaptations en dessin-animé et en film, se focalisent davantage sur l’humain à travers son personnage principal cynique et obsédé sexuel, qui se voit contraint, avec son meilleur ami, de participer à une série de jeux mortels le mettant au niveau d’un personnage de jeu vidéo. Peu à peu, il découvrira la valeur des rapports humains mais aussi sa propre valeur.
Enfin, je voue une affection toute particulière au drama Liar Game, inspiré du manga de Shinobu Kaitani, et qui parle une fois encore de la nature humaine dès lors qu’elle s’exprime dans les rapports sociaux. Ce qu’il y a de spécial dans Liar Game, c’est que les personnages n’ont pas besoin d’être menacés de mort pour que le suspense soit trépidant : les joueurs risquent « seulement » le surendettement, ce qui revient à une mort sociale. Victimes d’une arnaque, ils sont obligés de participer à une série de jeux en huis-clos et reposant sur des énigmes intellectuelles à connotation philosophique, ce qui rend l’expérience particulièrement stimulante pour le spectateur. Un drama en deux saisons complétés de deux longs métrages. On ne s’en lasse pas.
Cupidité, surendettement, consumérisme sexuel au mépris de l’autre, spectacularisation de la violence réelle… Les game movies japonais sont décidément en accord avec leur temps ! Les films Hunger Games aussi, à condition de ne pas être trop cinéphile.
Elodie Leroy
* Dans La Ferme des Célébrités 2010, le conflit entre Adeline Blondieau et le boxeur Farid Khider aurait dégénéré au point de pousser la chaîne à censurer une scène. Selon les rumeurs, Adeline Blondieau aurait reçu des coups et Farid Khider aurait été menacé avec un couteau. L’un accuse l’autre d’insultes racistes et la jeune femme accuse le boxeur de harcèlement sexuel et d’insultes sexistes. Bref, difficile de démêler le vrai du faux. Tout ce que l’on sait, c’est que suite à l’incident télévisuel, le fils d’Adeline Blondieau, lui, a bel et bien été agressé, et plutôt violemment !