Véritable OVNI dans le cinéma hexagonal, le film d’animation français The Prodigies se frotte aux productions Pixar, aux classiques de Robert Zemeckis et aux films d’anticipation japonais. Le film qui n’est pas exempt de quelques maladresses, notamment un développement des personnages un peu sommaire, mais surprend par son audace et ses qualités formelles dans un registre négligé par le cinéma français. Rien que pour cette raison, il ne faut pas manquer The Prodigies.
On s’étonne encore que la presse française n’ait pas davantage relayé l’événement ! Avec The Prodigies, le cinéma hexagonal joue dans la cours des grands : l’animation en performance capture et qui plus est en 3D relief. Deux territoires quasi monopolisés par Hollywood, un défi technique et artistique qui aura nécessité plus de trois ans de travail – et des financements en provenance de plusieurs pays d’Europe. Et un défi d’autant plus grand, pour le réalisateur Antoine Charreyron, que le film explore un genre injustement malaimé en France, celui de la science-fiction pour adultes. La prise de risque est énorme.
Le film parvient-il à égaler les productions 3D de haute volée façon Pixar et les films d’animation SF visionnaire à la japonaise ? Pas tout à fait. Mais ses immenses qualités méritent le détour et laisse présager du meilleur pour l’avenir du cinéma d’animation français. Le début d’une révolution ?
Tout d’abord, qu’est-ce que la performance capture ? Il s’agit d’un procédé utilisé dans le jeu vidéo et consistant à capturer les mouvements d’acteurs réels pour les appliquer à des personnages virtuels. Au cinéma, le grand spécialiste n’est autre que Robert Zemeckis, avec Le Pôle Express (1,5 million d’entrées en France) mais aussi les excellents La Légende de Beowulf (environ 415 000 entrées en France) et Le Drôle de Noël de Scrooge (1,35 million d’entrées en France).
Deux ans après, nous avons eu Avatar de James Cameron (près de 15 millions d’entrées en France), qui utilisait le procédé pour ses Na’vis. Le très attendu Les Aventures de Tintin, réalisé par Steven Spielberg et produit par Peter Jackson, devrait apporter à la fin de l’année une pierre non négligeable à l’édifice.
En France, les débuts sont plus timides. Christian Volckman utilisait cette technique en 2006 avec Renaissance dont les scores au box-office se sont avérés décevants (à peine plus de 200 000 entrées). Cumulant seulement 126 000 entrées au bout de ses deux premières semaines d’exploitation, The Prodigies prend le même chemin. Le public français ne s’intéresserait-il aux avancées techniques que si elles sont américaines ? Une chose est sûre, il passe à côté d’un événement.
Comme par hasard, on retrouve au générique de The Prodigies les mêmes scénaristes que dans Renaissance : Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte. C’est ce qui s’appelle de la persévérance : Renaissance osait déjà jouer la carte du polar futuriste alors même que la SF n’a pas le vent en poupe dans notre cinéma, encore engoncé dans une dichotomie opposant les genres « nobles » (le drame social ou psychologique, la comédie de mœurs, etc.) à d’autres considérés comme mineurs (le fantastique, la SF, l’horreur).
Pourtant, si notre cinéma ne brille pas la présence d’une véritable culture de la SF, la littérature de science-fiction française, elle, existe bel et bien. Et en attendant que quelqu’un veuille bien porter à l’écran l’œuvre de Pierre Bordage avec un film digne de ce nom, The Prodigies est en l’occurrence l’adaptation d’un roman culte du Français Bernard Lentéric, La Nuit des Enfants Rois (1981).
Bonne nouvelle, The Prodigies affiche dès la toute première séquence une très nette intention de s’adresser à un public adulte, à travers une entrée en matière choc au cours de laquelle Jimbo, un enfant génie de l’informatique et détenteur d’un étrange pouvoir, se retrouve impliqué dans une scène de maltraitance domestique d’une brutalité inouïe. Le ton est donné : le film sera noir, très noir. Il sera pour ainsi dire parsemé de séquences de violences plutôt gratinées (viols, meurtres sanglants, etc.) mais jamais gratuites puisqu’elles viendront servir le développement du personnage principal.
Or une fois devenu adulte, ce dernier découvre l’existence de cinq adolescents surdoués possédant le même pouvoir que lui : contrôler les corps des autres. Le problème, c’est qu’en plus d’être des génies, ces ados ont sacrément la rage puisqu’ils trainent derrière eux un passé affectif ayant de quoi les rendre quelque peu misanthropes. Donnez une arme à un être humain qui encaisse la violence des autres, et les conséquences peuvent rapidement virer à la catastrophe…
Imaginez cinq Tetsuo lâchés dans la nature… Cette référence au mythique Akira (1988) n’a rien d’un hasard : on sent planer l’ombre tutélaire du film culte de Katsuhiro Otomo dans les personnages des adolescents mais aussi à plusieurs reprises dans le traitement graphique de l’univers urbain de The Prodigies, dont l’essentiel de l’action se situe dans un New York envahi par les images publicitaires. D’abord anonymes, les enfants prodiges seront projetés du jour au lendemain sous les feux des projecteurs à l’occasion d’un jeu ultra médiatisé censé déboucher sur une finale les confrontant dans une ultime épreuve à la Maison Blanche.
Seulement voilà, suite à l’agression sexuelle de l’une d’entre eux à Central Park, ils disjonctent littéralement et entreprennent non seulement de se venger des agresseurs mais aussi de la Terre entière. De quoi donner du fil à retordre à Jimbo, jeune homme sur le point d’être père de famille et qui a déjà maille à partir avec ses propres démons.
Le mystère qui entoure la mort de ses parents constitue à ce titre l’un des moteurs du récit et se voit éclairci pas à pas grâce à des procédés narratifs originaux voyant réalité et souvenir se côtoyer à l’image, dans une sorte de délire schizophrénique savamment mis en scène par un Antoine Charreyron qui a visiblement décidé d’en finir avec le statisme habituel des productions françaises.
Là où le bât blesse, c’est dans la manière dont le scénario tente de résoudre l’escalade de violence orchestré par les garnements. Si les deux premiers tiers se distinguent par une grande fluidité narrative, The Prodigies souffre malheureusement du défaut qui caractérise la plupart des films de genre français, à savoir la difficulté à dégager de véritables thématiques de fond (Kaena et Dante 01, même combat). La ville apparait certes comme un décor organique et cannibal qui engendre des monstres mais la réflexion ne va guère plus loin, de même que le thème de la sur-médiatisation demeure sous-exploité.
Si les design des adolescents, qui repose sur un casting très « United Colors of Benetton », s’avère être une belle réussite graphique, il est dommage que leur psychologie individuelle reste sommaire, surtout qu’ils traversent la période ô combien difficile et passionnante de l’adolescence. Les scénaristes se rattrapent quelque peu avec un semblant de psychologie de groupe et surtout la relation amour/haine des ados avec Jimbo, comme s’il représentait la part de lui-même qu’il avait refoulée.
Malgré ses défauts, parmi lesquels un final peu crédible à la Maison Blanche (où l’on rentre visiblement comme dans un moulin), The Prodigies parvient à maintenir une atmosphère tendue jusqu’au bout, et même à émouvoir à plusieurs reprises grâce à un développement réussi de Jimbo (très bon Matthieu Kassovitz au doublage). Mais ce sont surtout ses trouvailles visuelles qui font pencher la balance. Le traitement de l’action s’avère tout simplement brillant, dans les séquences inquiétantes de meurtre comme dans les fusillades. Mention à la séquence où des cadavres de militaires se relèvent pour charger dans une sorte de ballet désarticulé sur fond de fusillade – tout simplement jouissif.
Antoine Charreyron n’atteint pas les hauteurs philosophiques d’un Akira ou d’un Ghost in the Shell, mais il n’en signe pas moins une œuvre techniquement bluffante et artistiquement inspirée. On s’étonne presque que ce soit français…
Alors mettez vite vos lunettes 3D : The Prodigies est une vraie tuerie visuelle et un événement technique dans le cinéma hexagonal.
Elodie Leroy
Article publié le 8 juillet 2011 sur Agoravox.fr