La rencontre artistique improbable entre le maître de l’horreur Clive Barker et le cinéaste japonais Ryuhei Kitamura fait des étincelles, le second réussissant le tour de force d’adapter fidèlement l’univers du premier sans pour autant abdiquer sa personnalité de réalisateur.
Alimenté par une ambiance visuelle et sonore soignée qui maintient constamment chez le spectateur la sensation d’être immergé en plein cauchemar, Midnight Meat Train se distingue par son univers macabre et ses séquences d’action aussi brutales que sanguinaires, pimentées par les expérimentations formelles de Kitamura qui multiplie comme à son habitude les trouvailles. On obtient un film d’horreur divertissant et généreux qui se destine explicitement aux fans du genre et porte pleinement la marque de son auteur, réconciliant l’esprit d’un certain cinéma hérité des années 80 avec un langage cinématographique résolument moderne.
Midnight Meat Train marque la rencontre artistique inattendue mais détonante entre Clive Barker, l’auteur le plus déviant de la littérature horrifique anglaise, et Ryuhei Kitamura, le cinéaste le plus délirant du Japon. Deux esprits marginaux dont l’association ne pouvait qu’attiser la curiosité, et ce même si l’on pouvait légitimement craindre le résultat. D’abord parce que les bonnes adaptations d’œuvres de Clive Barker se comptent sur les doigts d’une main : signées par l’auteur lui-même, Nightbreed (aka Cabale) et Lord of Illusions en font indéniablement partie (bien que n’ayant pas toujours été traitées dignement par les distributeurs). De son côté, le cinéaste Bernard Rose signait il y a une quinzaine d’années l’excellent Candyman qui revisitait de manière inspirée la nouvelle The Forbidden des Livres de Sang.
L’autre raison pour laquelle le projet Midnight Meat Train avait de quoi faire peur – dans le sens artistique du terme – tient à la difficulté des cinéastes japonais actuels appelés par Hollywood à se fondre dans le moule du cinéma américain. Les exemples de Hideo Nakata et Takashi Shimizu, figures emblématiques du renouveau du cinéma de genre japonais, s’avèrent à ce titre pour le moins parlants. Pourtant, il semble que la règle ait enfin trouvé une exception.
Pour rappel, depuis le très culte Versus, qui lui vaut depuis quelques années une horde de fans inconditionnels et de détracteurs féroces à travers le monde, Kitamura a signé une demi-douzaine de longs métrages, partant pour la plupart de concepts bien trouvés, dont certains issus de mangas, et porteurs de véritables challenges. On pense notamment à Alive et son postulat d’expérience claustrophobe sur des condamnés à mort, à Aragami et son huis clos tendu entre trois personnages, ou plus récemment au road movie burlesque et déjanté LoveDeath.
Cette fois, Kitamura change certes radicalement de cadre culturel, dirigeant par là même des acteurs américains, mais il n’en retrouve pas moins un terrain de jeu idéal pour ses expérimentations. Ce terrain, c’est l’univers de Clive Barker, un univers dans lequel il n’est pas rare que l’horreur extrême côtoie de très près l’ironie voire la franche rigolade. Ce qui n’est finalement pas du tout en contradiction avec le style d’un cinéaste capable de délivrer dans un même film de l’action fun et une véritable tension psychologique (Alive), ou encore de mêler parfois sur un même plan la tragédie et la comédie (Azumi).
Si l’on ajoute à cela que l’auteur de Versus a toujours montré un certain penchant pour le cinéma américain, ses inspirations allant de John Carpenter aux frères Wachowski, Clive Barker (aussi producteur exécutif sur le film) tenait peut-être bel et bien le profil idéal pour donner vie à cette virée macabre dans les bas-fonds de New York.
Avec Midnight Meat Train, Kitamura accomplit donc un double exploit : celui de respecter l’esprit de son matériau d’origine et de le faire sans renoncer à son style propre. Dès la séquence d’ouverture, visions sanglantes et cauchemardesques s’achevant dans un travelling arrière démoniaque, les familiers de l’univers du cinéaste reconnaîtront son goût pour les introductions chocs servies en guise de mises en bouche.
On l’aura compris à la lecture du synopsis, le lieu du crime n’est autre que le métro de New York, où de pauvres voyageurs disparaissent mystérieusement les uns après les autres. Lieu quotidien par excellence fréquenté en priorité par des individus issus des couches les plus défavorisées de la société, le métro effectue toutes les nuits sa course infernale dans les souterrains labyrinthiques. Gare à celui qui s’endort et rate le terminus. Cela dit, du côté des forces policières, personne ne semble véritablement décidé à réagir contre ces disparitions. Mais un photographe en quête d’images sensationnelles décide de prendre en chasse le serial killer.
On pourra voir dans les rues crasseuses et les bas fonds explorés par Léon (Bradley Cooper, vu dans Yes Man) une allégorie sur l’âme viciée de la mégalopole, symbole d’une civilisation qui boit le sang des plus faibles pour nourrir sa puissance.
Pourtant, si Kitamura ne passe pas à côté de cette dimension, pas plus qu’il n’évacue la thématique du voyeurisme et de la fascination pour le macabre de Léon, Midnight Meat Train assume pleinement sa qualité de série B et s’attache à fournir un vrai divertissement, généreux dans son application à délivrer des séquences horrifiques particulièrement brutales et gratinées. Les amateurs d’effusions gore spectaculaires se régaleront puisque les pratiques du tueur profanent de manière assez répugnante le corps humain qui entre ses mains (et ses ustensiles) se voit littéralement réduit à un tas de viande.
D’ailleurs, il n’y a qu’à voir le personnage du serial killer pour comprendre quel genre d’esprit Kitamura tente de retrouver. A mille lieues des amateurs de torture anonymes de Hostel et de ses avatars, Midnight Meat Train met en scène un exécuteur sinistre à souhait pourvu d’un attirail terrifiant et dont la sacoche suffit à elle seule à susciter les fantasmes d’horreur les plus fous. A la fois remarquable par sa carrure et banal dans son accoutrement, ce Boucher avec un grand B campé par Vinnie Jones renvoie aux peurs enfantines liées aux figures du quotidien, un peu comme le Croque-mort joué par Angus Scrimm dans le Phantasm de Don Coscarelli.
Cela dit, s’il prend au sérieux son sujet, Kitamura ne perd pas pour autant son sens légendaire de la dérision, tout en laissant de côté les personnages burlesques souvent présents dans son cinéma (que l’on se rassure, il s’est bien défoulé dans LoveDeath, dont l’actrice principale NorA tient d’ailleurs ici un petit rôle).
Les personnages auront beau rester tendus tout du long, et on les comprend, Midnight Meat Train provoque parfois des rires inopinés en détectant le petit élément comique qui survient dans les situations les plus atroces, allant jusqu’à donner lieu à quelques effets cartoonesques assez jouissifs (une femme qui trébuche sur l’œil de son ami, un homme dont la tête est transpercée par derrière…).
Cet esprit s’accorde à la perfection avec la réalisation très moderne de Kitamura qui en plus d’utiliser à bon escient les effets digitaux nous concocte comme à son habitude quelques mouvements de caméras alambiqués. A ce titre, en plus de stimuler les sensations viscérales en envisageant à plusieurs reprises l’action à travers les yeux des victimes, le maître de la caméra folle reprend un genre de procédé qu’il avait mis en place de manière artisanale dans Azumi et qu’il perfectionne ici lors d’une scène de bagarre mouvementée voyant la caméra tourner autour d’un wagon en pleine course.
Des moments surréalistes comme celui-ci, il n’y a décidément que Kitamura pour (oser) nous en offrir. Par les temps qui courent, voir un divertissement horrifique qui s’assume comme Midnight Meat Train, un film qui rend hommage au genre tout en le revisitant au moyen de techniques modernes, ça fait rudement du bien.
Elodie Leroy
Article publié sur Filmsactu.com le 30 janvier 2009