Le machisme à Hollywood a de beaux jours devant lui ! En témoignent les personnages féminins dans les blockbusters, ces films à gros gros budget qui déferlent chaque année dans nos salles, et qui reposent sur une vision du monde ultra sexiste.

J’ai d’abord publié cet article en 2013 sur le site StellarSisters et je l’ai transféré ici. Entre-temps, la situation des femmes dans les blockbusters américains a-t-elle évolué ? Pas vraiment… Du moins pas dans les films les plus chers ! Voici mon analyse réalisée en 2013 et qui reste encore d’actualité.

Le ton est donné : selon Variety, Jennifer Lawrence, 23 ans, est l’actrice la plus bankable de 2013, soit celle qui a rapporté le meilleur retour sur investissement à Hollywood, un titre qu’elle doit surtout à son premier rôle dans le second opus de la franchise Hunger Games. Elle est talonnée par Sandra Bullock, actrice principale du film de science-fiction Gravity. Traditionnellement monopolisé par les stars masculines, le peloton de tête était déjà occupé en 2012 par Natalie Portman grâce à l’exploitation mondiale de Black Swan. Cette dernière était alors suivie de Kristen Stewart, la star de Twilight, qui arrivait quant à elle en tête en 2011. Autrement dit, la A-list d’Hollywood se féminise… Effet ponctuel ou évolution durable ? Les héros d’action de demain seront-ils des héroïnes ? Pas sûr.

Le dossier « Femmes et Blockbusters » est en 2 parties.

Hunger Games 2
Jennifer Lawrence

Dans la première partie de ce dossier consacré aux femmes dans les blockbusters, nous nous attarderons au préalable sur le contexte économique dans lequel évoluent ces productions, avant de dresser une typologie des figures féminines récurrentes, bien souvent conçues pour plaire à un public avant tout masculin. La seconde partie de ce dossier s’intéressera aux éléments d’explication du machisme qui sévit dans les blockbusters hollywoodiens et aux solutions qui s’offrent à l’heure actuelle pour y remédier.

À noter que si nous pointons le machisme de certains films et l’approche féministe d’autres films, il ne s’agit pas de juger automatiquement « mauvais » les premiers et « bons » les seconds, mais d’en décrypter les représentations afin de mettre en lumière les blocages et les symboles, et d’évaluer les pistes actuelles d’évolution.

Un blockbuster, c’est quoi ?

Le terme, emprunté au jargon militaire, signifie littéralement « bombe à gros calibre ». D’abord utilisé dans le monde du théâtre américain, où il désignait les pièces remportant un grand succès, il est repris dans les années 1970 par le milieu du cinéma qui le fait évoluer. À présent, si l’on parle parfois de blockbuster pour désigner un film ayant engrangé des recettes importantes, il faut savoir qu’un blockbuster se définit avant tout par des critères en amont : il s’agit d’une superproduction se distinguant par l’emploi d’effets spéciaux, d’une distribution et d’une campagne de publicité susceptibles d’attirer l’attention du public et des médias, et ce, quel que soit le succès du film à l’arrivée.

Le film considéré comme le premier blockbuster n’est autre que Les Dents de la Mer (1975) de Steven Spielberg. Avec un budget de 8 millions de dollars, il en rapporte alors 260 millions rien qu’aux États-Unis (210 m$ dans le reste du monde). Les Dents de la Mer marque le début de « l’ère des blockbusters ». Parallèlement, une enquête menée en 1979 par la MPAA (Motion Picture Association of America) révèle que le public le plus consommateur de films serait principalement masculin et qu’il serait à 90 % âgé de 12 à 19 ans.

C’est ainsi que débarquent dans les salles des superproductions telles que La Guerre des Étoiles (1977) et Superman (1978), qui engendreront les franchises juteuses que l’on connaît. Les choses s’accélèrent dans les années 1980-90, avec une cascade de grosses productions : Les Aventuriers de l’Arche Perdue (1981), Terminator (1984), Retour vers le futur (1985), L’Arme Fatale (1987), Jurassic Park (1993) et leurs suites respectives… Autant de cartons commerciaux qui favorisent le développement de multiplexes, aux États-Unis mais aussi en Europe.

Titanic
Kate Winslet et Leonardo DiCaprio

Car si le marché hors-USA ne représente que 20% des recettes de ces blockbusters au début des années 1980, contre 80% pour le marché domestique, les rapports de force s’inversent au cours des années 1990, cependant que les studios majors diversifient leur offre afin de toucher tous les publics. En 1997, Titanic déclenche un véritable phénomène international en donnant la part belle aux effets spéciaux digitaux mais aussi à la romance.

Avec son couple mythique formé par Kate Winslet et Leonardo DiCaprio, le film catastrophe de James Cameron confirme le potentiel énorme de l’exportation : le film engrange 1,8 milliards à l’étranger, contre 600 m$ aux USA. À l’époque, les budgets commencent déjà à flamber mais Titanic demeure le film le plus coûteux de l’histoire du cinéma (200 m$), devant Waterworld (172 m$) et Wild Wild West (170 m$). Au début des années 2000, le blockbuster à plus de 100 m$ demeure tout de même exceptionnel – considéré comme une superproduction à sa sortie, un film comme Matrix (Andy et Lana Wachowski) n’a coûté « que » 63 m$.

Or depuis l’explosion du numérique et plus récemment le développement de la 3D, nous assistons à une nouvelle inflation des coûts de ces superproductions. Cette inflation s’explique entre autres par l’ouverture de marchés à fort potentiel, tels que la Chine et la Russie, dont les spectateurs sont friands d’effets spéciaux tape-à-l’œil. Une fois encore, James Cameron est précurseur : lors de sa sortie en 2009, Avatar impressionne non seulement par la profondeur de ses rendus 3D mais aussi par ses chiffres démesurés : 387 m$ de budget (dont 150 m$ de marketing) et 2,78 milliards de recettes. Ce qui provoque une nouvelle flambée des budgets, en plus d’un investissement massif sur la 3D.

Aujourd’hui, les studios articulent leur stratégie autour d’un petit nombre de blockbusters aux budgets pharamineux et soutenus par un marketing de plus en plus agressif. 220 m$ pour Avengers (Joss Whedon), 200 m$ pour Iron Man 3 (Shane Black), 225 m$ pour Man of Steel (Zack Snyder)… Des chiffres qui ne reflètent pas toujours la qualité des longs métrages.

Dans son essai Blockbusters. Hit-making, Risk-taking, and the Big Business of Entertainment, Anita Elberse, professeure d’économie à Harvard, explique cette concentration budgétaire : il serait plus rentable d’investir un maximum d’argent sur un petit nombre de projets, quitte à risquer de tout perdre, plutôt que de multiplier les projets de moindre ampleur. Les producteurs hollywoodiens appellent cela la tentpole strategy. Le but est de développer des économies d’échelle, notamment en matière de déploiement marketing et d’emploi des superstars, mais aussi d’axer la stratégie sur le développement de projets susceptibles de conquérir les marchés émergents.

Avengers
L’affiche très masculine d’Avengers

En plus de laisser de moins en moins de place aux produits de niche, ce système a aussi son revers de la médaille pour les blockbusters eux-mêmes. Sur le plan artistique, il explique l’appauvrissement des scénarios et l’effet de répétition constatés depuis quelques années, avec la profusion de franchises ultra-calibrées adaptées de comics, mais aussi de remakes et de reboots.

Sur le plan économique, il met en danger toute l’industrie, comme le soulignaient en août 2013 Steven Spielberg et George Lucas lors d’une Master Class très médiatisée. Selon leur diagnostic, Hollywood devrait péricliter prochainement suite aux échecs successifs de plusieurs blockbusters, laissant la place à une nouvelle ère.

Cette « économie des blockbusters » a tout à voir avec le sujet qui nous intéresse, à savoir la représentation des femmes dans les superproductions actuelles. Aujourd’hui, si l’on porte attention aux personnages féminins, on observe deux mouvements contradictoires, avec d’un côté, le retour en force d’un machisme que l’on croyait révolu (The Dark Knight Rises, Man of Steel, Captain America, etc.), et de l’autre, l’émergence de véritables héroïnes dans des franchises à succès tels que Twilight et Hunger Games. Mais au bout du compte, où en est-on vraiment ?

Trente-cinq ans après Ripley…

Le 1er mai 2013, le site Allociné publiait un dossier intitulé 15 blockbusters pour votre été 2013. Les productions mises en avant dans l’article ont toutes un point commun : les héros y sont de sexe masculin. Cela n’aura échappé à personne, si l’on examine les blockbusters de ces dernières années, les héroïnes manquent cruellement à l’appel et les personnages féminins, plus généralement, sont en nombre restreint. Ce qui signifie que les femmes sont sous-représentées dans la catégorie de films dominante. Pourtant, la franchise Hunger Games (Francis Lawrence) n’est pas la première superproduction à mettre en avant une héroïne, loin de là.

1979, sortie d’Alien, le huitième passager de Ridley Scott, avec Sigourney Weaver dans le rôle principal. Ou presque car au début du film, Ripley apparaît plutôt comme un second rôle derrière ses collègues masculins. Habilement, le réalisateur glisse vers son point de vue à mesure que la créature décime l’équipage du vaisseau, afin de faire peu à peu, l’air de rien, passer Ripley au premier plan.

À l’époque, le public s’étonne de découvrir une femme dotée d’un tel instinct de survie et d’un esprit aussi vif. Le choix de Ridley Scott est d’autant plus audacieux qu’Alien est un film de science-fiction, un genre que l’imaginaire collectif définit comme résolument masculin (nous sommes à l’époque de Star Wars, ne l’oublions pas).

Bande-annonce de Terminator 2 : Musclée, désabusée et hors-la-loi, Sarah Connor (Linda Hamilton) est la première femme bad ass au cinéma.

Depuis Alien, et hormis les épisodes suivants de la franchise, combien d’actrices ont tenu un premier rôle dans un blockbuster ? Elles sont peu nombreuses. Il y a eu Terminator (James Cameron) en 1984, où Linda Hamilton interprétait Sarah Connor, une woman next door prise en chasse par un terrifiant robot venu du futur. Actrice d’un rôle mais véritable icône pour les fans de SF, Linda Hamilton revenait en 1991 dans la suite, Terminator 2 : le Jugement Dernier, en tant que second rôle. De manière intéressante, James Cameron choisit alors d’en faire une femme d’action surentraînée mais internée en asile psychiatrique, comme pour accentuer le caractère hors normes de ce personnage aux antipodes des stéréotypes féminins.

Par la suite, les superproductions se sont montrées pour le moins timides avec les héroïnes. Charlie’s Angels (2000, 92 m$ de budget) de McG, avec Cameron Diaz, Drew Barrymore et Lucy Liu, prend le risque en s’appuyant sur la mode des adaptations de séries, sachant qu’il aura fallu que Drew Barrymore s’investisse en tant que productrice pour que le projet voie le jour. Le film connaîtra une suite assez dingue avec Charlie’s Angels 2 : Les Anges se déchaînent (McG, 2003). Lara Croft: Tomb Raider avec Angelina Jolie (Simon West, 2001, 110 m$) et Catwoman avec Halle Berry (Pitof, 2004, 100 m$) bénéficient également de budgets conséquents.

À noter que Halle Berry est la seule actrice noire à avoir jamais tenu un premier rôle dans un blockbuster : les femmes ne sont pas les seules à faire l’objet de discriminations (les acteurs noirs héros de blockbusters se comptent sur les doigts d’une main). Plus récemment, Salt (Philip Noyce, 2010) mettait en scène, avec 110 m$ en poche, Angelina Jolie dans un film de fugitif, un genre jusqu’alors strictement réservé aux acteurs.

Charlie’s Angels 2 : Les Anges se Déchaînent (2003) – Les Anges défient les hommes sur leur territoire dans la scène-culte de la poursuite en motocross.

Pour ce qui est de Twilight (Catherine Hardwicke) et ses suites, le cas est plus complexe : si l’on retient la définition du blockbuster selon les moyens employés, et non selon les recettes, les trois premiers films entrent difficilement dans cette catégorie puisque leur coût évolue entre 37 et 68 m$. Au départ, Twilight a été conçu comme un produit de niche. En revanche, les budgets augmentent nettement pour les opus 4 et 5, qui ont respectivement coûté 110 et 120 m$. Les recettes, quant à elles, sont bien entendu celles de blockbusters pour toute la franchise (de 392 à 829 m$).

Enfin, on peut également citer le magnifique Gravity (100 m$) d’Alfonso Cuaron, avec Sandra Bullock, sachant qu’il s’agit d’une coproduction États-Unis/Angleterre. Avec ses 630 m$ de recettes à travers le monde, Gravity fait en tout cas la démonstration éclatante que la présence d’une femme au premier plan n’est nullement un frein au succès d’un blockbuster. Une démonstration confirmée par la franchise Hunger Games, qui a fait de Jennifer Lawrence l’actrice la plus rentable du moment. On notera malgré tout que les budgets de ces productions n’ont rien à voir avec ceux des films de superhéros masculins actuels.

Rebelle (2012) – Moment historique chez Pixar, qui produit avec Rebelle son 13e long métrage et son 1er avec une héroïne !

Il n’y a guère plus d’exemples à mentionner. Nous ne pouvons pas compter Kill Bill car avec ses 30 millions de dollars de budget par film, le diptyque de Quentin Tarantino ne prétend pas se classer dans la catégorie des blockbusters. Difficile également d’englober les franchises Resident Evil (30 à 65 m$ de budget par film) et Underworld (22 à 75 m$ par film) car il s’agit de produits de niche destinés à un public d’initiés.

C’est également le cas du très original Sucker Punch de Zack Snyder malgré son budget important (82 m$), une contradiction probablement responsable de son échec commercial. Enfin, le cas Elektra (Rob S. Bowman, 2005) est particulièrement édifiant : le budget du film (43 m$) est tellement ridicule par rapport aux standards des films de superhéros que l’on ne s’étonne pas de son naufrage. La production ne s’est tout simplement pas donné les moyens de ses ambitions. Mais avait-elle vraiment des ambitions ?

La pauvreté de cette liste laisse songeur. Que s’est-il donc passé en 35 ans pour que l’on n’ait pas davantage avancé dans la présence d’héroïnes dans les blockbusters ?

Un public éduqué aux histoires de garçons

Si une écrasante majorité de blockbusters placent l’homme au cœur de l’action et relèguent la femme au second plan, ce serait paraît-il pour des raisons purement pragmatiques : il faut miser sur des valeurs sûres, telles que des têtes d’affiches bankable et des arguments accrocheurs, mais aussi sur le premier public consommateur de films. Or le profil de ce dernier serait celui d’un adolescent de type caucasien.

En réalité, la notion de premier consommateur est à prendre avec précaution : il s’agirait de celui qui se précipite en salle dès la sortie du film, les chiffres des premières séances ayant le propre de conditionner toute la vie commerciale du produit. Et qu’importe si par la suite, le film attire davantage de femmes. Cela dit, ce spectateur-type irait souvent voir les films en couple et c’est pourquoi on trouve toujours, dans les blockbusters d’action, un second rôle féminin et une romance dédiés à la « copine du spectateur ». Le tout dans le but affiché qu’elle ne bride pas son copain dans ses choix de sorties (car c’est apparemment lui qui décide !). Bref, tout tourne autour de l’homme. Ou plus exactement de l’ado américain blanc.

Captain America 2 (Anthony et Joe Russo, 2014) – La diversité selon le blockbuster américain : l’homme blanc occupe le premier plan, devant ses deux faire-valoir. Notez la posture de l’actrice, conçue pour mettre en valeur ses formes féminines.

Ce principe s’applique également aux films pour enfants à gros budget, qu’il s’agisse des productions Disney, Pixar ou Dreamworks. En dehors des histoires de princesses, qui seront explicitement destinées aux filles et feront rarement l’objet de franchises, les grosses productions sont presque toutes des histoires de garçons (ou assimilés). Si l’on observe depuis peu un effort de diversité – Rebelle (Brenda Chapman, Mark Andrews), La Reine des Neiges (Jennifer Lee, Chris Buck) –, probablement guidé par l’envie d’imiter les gros succès japonais (les héros de Hayao Miyazaki sont souvent des héroïnes), les productions américaines les plus coûteuses et considérées comme les plus porteuses comportent peu de personnages féminins et les placent au second plan. C’est le cas des franchises Shrek, Toy Story, Cars, Kung-Fu Panda, Dragons

Ainsi, le conditionnement débute très tôt. La répartition des rôles est claire : les garçons sont les héros et les filles les seconds rôles. Chacun apprend sa place dès le plus jeune âge par le biais de la fiction.

1er corollaire : les filles apprennent qu’il leur faudra évoluer dans un monde d’hommes, où elles seront en minorité (donc en rivalité) et devront s’adapter aux codes masculins.
2nd corollaire : les filles apprennent très tôt à imaginer le regard masculin posé sur elles, un regard qu’elles perçoivent comme universel et qui juge leur apparence physique, sachant que les proportions féminines dans les films pour enfants sont déjà hypersexualisées, voire difformes (voir l’article Dans le monde de Disney, les femmes ont les poignets de la taille d’un œil, sur Rue89).

Ces constats s’accentuent bien évidemment dans les blockbusters pour adultes : le fait qu’une actrice se fasse gonfler la poitrine ne choque plus personne.

Le regard masculin comme symbole de pouvoir

Dans le cinéma occidental, le regard masculin est omniprésent et s’exprime jusque dans la forme puisque les films jouent la carte de l’érotisation du corps féminin : balayage de bas en haut sur l’actrice entrant en scène, images volées dans l’intimité, plan sur le corps de la femme pendant l’amour, sur son visage pendant l’orgasme…

On peut aisément faire le lien avec le fameux male gaze théorisé par la critique de cinéma Laura Mulvey dans son essai Visual Pleasure and Narrative Cinéma, publié en 1975. En anglais, gaze signifie regard avec une idée de contemplation.

Scarlett Johansson dans Avengers – Très employée dans les comics et sur les affiches de films, cette posture est dédiée au regard masculin puisqu’elle permet d’apercevoir la poitrine, le fessier et la ligne du dos du personnage féminin.

Selon Mulvey, qui avait pris pour objet d’étude les classiques hollywoodiens des années 1950 et 1960, le spectateur est invité à adopter le point de vue d’un homme hétérosexuel, la femme devenant un objet destiné à être contemplé et désiré. En s’attardant sur le corps féminin, la caméra est assimilée au regard de l’homme, porteur du point de vue du réalisateur. Le male gaze devient le signe d’un pouvoir asymétrique : il symbolise le rôle actif de l’homme et le fait d’être regardé le rôle passif de la femme.

Ce regard masculin ouvre la possibilité d’une identification directe pour le spectateur mâle. Au contraire, il implique un processus d’identification plus trouble pour la spectatrice qui naviguera tour à tour entre les deux points de vue – féminin dans la romance et masculin dans l’action – voire sera tentée de regarder l’actrice en imaginant le regard de l’homme.

Aujourd’hui, le propos de Laura Mulvey n’a pas pris une ride. Il est largement applicable aux blockbusters actuels, où la femme occupe la position d’objet et rarement de sujet. Quand elles n’ont pas pour unique rôle d’apporter la touche érotique de l’histoire : observez les bandes-annonces de blockbusters, vous apercevrez bien souvent un ou deux plans suggérant que l’actrice apparaîtra dénudée, ou du moins au lit. Cette promesse fait partie des arguments de vente de ces superproductions, dans lequel le héros « gagnera » la femme à la fin du film, entre autres conquêtes réalisées grâce à ses exploits.

La solitude du second rôle féminin

Objets désirables, alliées ou ennemies, les femmes de blockbusters sont doublement pénalisées puisqu’elles sont en forte minorité, ce qui rend l’identification encore plus difficile pour le public féminin, faute de pouvoir choisir entre un nombre suffisamment grand de personnages. Dans sa bande dessinée The Rule, la dessinatrice américaine Alison Bechdel a introduit en 1985 ce que l’on appelle aujourd’hui le « Test de Bechdel », utilisé depuis 2012 par les salles de cinéma suédoises pour labelliser les films par un indicateur de sexisme.

Dans la BD, un personnage sans nom précise qu’elle ne regarde les films que s’ils remplissent trois conditions :
1- Il doit y avoir au moins deux femmes dans le film…
2- …qui parlent entre elles…
3- …d’autre chose que d’un homme.
Sans surprise, la plupart des blockbusters de superhéros, même les meilleurs, échouent au test : Spiderman (Sam Raimi), Transformers (Michael Bay), The Dark Knight (Christopher Nolan), Avengers (Joss Whedon)… Il y a bien trop peu de femmes dans ces films pour qu’elles connaissent le moindre échange entre elles. Les seuls films de superhéros récents à passer le test avec succès sont Thor (Kenneth Branagh) et Iron Man 3 (Shane Black).

Bien évidemment, le Test de Bechdel n’est qu’un indicateur et ne tient pas compte de l’écriture des personnages à proprement parler. Il pénalise aussi les films reposant sur un petit nombre de personnages tels que Gravity qui peut pourtant difficilement être accusé de sexisme. Mais s’il demeure imparfait, ce test repose sur une observation on ne peut plus pertinente : les femmes sont sous-représentées dans la plupart des blockbusters.

De ce fait, le moindre personnage féminin devient une ambassadrice de son genre à part entière, et non plus, à l’image des rôles masculins, un individu-personnage exprimant une ou plusieurs facettes de l’humain (héroïsme, générosité, lâcheté, cupidité, etc.). Ainsi, le jugement que l’on portera sur elle sera susceptible d’être étendu à toute la gent féminine : la fourberie d’un personnage masculin sera juste un trait de caractère, alors que la fourberie d’un personnage féminin sera nommée « duplicité féminine ».

Minoritaires, les femmes se doivent d’être utiles au scénario. Ainsi, leur parcours sera régi par un seul objectif : contribuer à l’évolution du héros. Aussi excellent qu’il soit, le film de science-fiction Inception (Christopher Nolan, 2010) offre une bonne illustration de ce principe. Inception comporte très exactement deux femmes, dont une, Mall (Marion Cotillard), n’est pas exactement la femme défunte de Cobb (Leonardo DiCaprio) mais le souvenir qu’il en a conservé. Ce qui veut dire qu’elle est entièrement définie par son regard, en plus d’intervenir exclusivement pour faire ressurgir le drame de leur couple. De son côté, Ariane (Ellen Page) a certes un rôle intellectuel à jouer dans l’équipe, ce qui est rare dans ce type de film.

Pourtant, d’un point de vue dramaturgique, sa véritable mission consiste à aider Cobb à résoudre ses problèmes personnels. Tout naturellement, dans l’unique scène voyant les deux femmes interagir, la conversation tourne autour de Cobb. Inception échoue au troisième niveau du test. C’est l’exemple d’un film dont les personnages féminins se définissent « par rapport » au héros.

Extrait du film Transformers 3 : La Face Cachée de la Lune : Première apparition de Rosie Huntington Whiteley, qui remplace Megan Fox dans le 3e opus de la franchise de Michael Bay. Le premier plan offre une vue directe sur ses cuisses et ses fesses et, pendant l’échange dialogué, la caméra se positionne à hauteur des yeux du héros (Shia LaBeouf) qui se trouve quant à lui allongé sur le lit. Ainsi, le personnage féminin occupe clairement la position d’objet, un objet défini par le regard masculin.

Cette femme que le héros « gagne » à la fin du film…

Second rôle ne voulant pas nécessairement dire mauvais rôle, même s’il est mis au service d’un homme, il est temps de s’intéresser à cette femme que le héros gagne à la fin du film. Qui est-elle vraiment ? C’est bien tout le problème : la femme de blockbusters souffre bien souvent d’un défaut d’écriture, une tendance qui n’a fait que se renforcer depuis la fin des années 2000, avec l’appauvrissement des scénarios lié à la concentration des budgets évoquée plus haut.

Ainsi, dans sa caractérisation, ce second rôle féminin se voit bien souvent privé de ce que j’appellerais son histoire personnelle, et qui se définit en deux temps :
1- ce qu’elle a vécu avant le film et qui a forgé son caractère et ses valeurs,
2- son évolution à travers le film, à savoir ce qu’elle vit et comment elle le vit en tant qu’individu.

Kirsten Dunst dans Spiderman (2002) – Mary Jane Watson prend l’initiative du premier baiser dans Spiderman

Non seulement le passé du personnage féminin est de plus en plus sommaire (par exemple, dans Man of Steel, on ne sait plus rien de Loïs Lane), mais son évolution pendant le film se réduit la plupart du temps à ses interactions avec le héros. C’est le cas de Selina Kyle dans The Dark Knight Rises (Christopher Nolan), Sharon Carter dans Captain America (Joe Johnston), Betty Ross dans L’Incroyable Hulk (Louis Leterrier)… Que font ces femmes de leur vie, une fois l’histoire en route, à part penser au héros, parler de lui et agir en fonction de lui ?

Dans Iron Man (Jon Favreau), la situation est plus complexe : Pepper Potts (Gwyneth Paltrow) agit en fonction de Tony Stark mais elle bénéficie également d’une évolution intéressante, voire progressiste : secrétaire dans l’opus 1, elle se voit léguer l’entreprise de Stark dans l’opus 2 et joue un rôle central dans le 3.

Pour donner un autre contre-exemple, nous citerons Mary Jane Watson (Kirsten Dunst) dans la franchise Spiderman de Sam Raimi. Si l’on se focalise sur les kidnappings de Mary Jane à la fin de chaque épisode, la franchise Spiderman sera vite taxée de sexisme. Trop vite. Car l’écriture du personnage est plus riche que celle de ses concurrentes, et ce, pour une raison simple : Mary Jane mène sa propre vie, une vie hors-champ qui échappe à la perception de Peter Parker.

Au début du premier film, en une simple scène entendue de la fenêtre du héros, un conflit entre la jeune femme et son père laisse entrevoir son insécurité affective. Par la suite, chaque fois que Peter la retrouve après l’avoir perdue de vue, elle a vécu des événements tels que la perte d’un emploi, la rencontre avec un autre homme, etc. Mary Jane Watson a aussi des défauts de caractère et c’est ce qui la rend humaine et attachante.

Ainsi, un autre indicateur de sexisme pourrait consister à répondre à la question suivante : si le scénariste écrivait une version alternative adoptant le point de vue du personnage féminin, aurait-il une histoire suffisamment consistante à raconter ?

Pour la plupart des seconds rôles féminins de blockbusters, la réponse est non. En dehors de leur relation avec le héros, que sait-on de Mikaela (Megan Fox) dans Transformers ou Betty Ross (Liv Tyler) dans L’Incroyable Hulk ? Même sur Pepper Potts dans Iron Man, qui suit un parcours que l’on peut qualifier de féministe, il n’a guère matière à développer un scénario.

Vous allez faire exactement ce que je vous dis, exactement !
– Jeremy Renner à Rachel Weisz dans Jason Bourne : L’héritage

Femme romantique, femme passive

À défaut de faire l’objet d’un véritable soin d’écriture, ces personnages ont-ils vu leur profil évoluer depuis trente ans ? Au premier abord, il semblerait que oui : scientifiques, journalistes de terrain, femmes d’affaires ou combattantes, elles ont intégré les changements de la société. Du moins en apparence. Car ces profils cachent une grande hypocrisie. Drapés des atours de la femme moderne, ces rôles féminins finissent bien souvent par perdre leur indépendance au contact du héros.

Charlize Theron dans Hancock (2008) – Le camouflage de la super-héroïne : femme au foyer

Dans les films de superhéros, cette régression est momentanée et se traduit souvent par un kidnapping (Spiderman et bien d’autres) ou une blessure qui la met sur la touche (Hancock de Peter Berg) : c’est le point culminant de l’histoire, où la femme retourne à l’état passif tandis que l’homme montre son héroïsme en la sauvant au péril de sa vie. Après tout, cela fait partie des conventions du genre.

Là où ce procédé devient vraiment irritant, c’est lorsqu’il s’éternise durant tout le film. C’est notamment le cas dans les films d’agents secrets fugitifs, où la situation accule une femme indépendante à tout plaquer pour suivre un homme, accomplissant éventuellement une ou deux actions pour la forme. Avouons-le, il y a bel et bien derrière tout cela un fantasme féminin : quelle femme n’a jamais fantasmé de rencontrer un bad boy ? D’un point de vue féminin, fuir avec un bad boy correspond à un fantasme de transgression. Mais il ne fonctionne que si le regard féminin est bel et bien pris en compte. Or si celui-ci est toujours utilisé ici et là pour mettre l’emphase sur le caractère extraordinaire du héros, le basculement vers le point de vue masculin finit toujours par se faire, au détriment de la demoiselle qui se retrouve sur la touche.

Rachel Weisz et Jeremy Renner dans Jason Bourne : L’Héritage (2012) – Tenir sa partenaire par le bras dans la rue, une mauvaise manie chez les agents secrets en fuite?

Autre maladresse typique du genre : le passage du statut de femme autonome à celui de femme dépendante justifie généralement que le héros la tienne pas le bras dans la rue, la retourne de force pour lui parler ou encore lui crie dessus, notamment lorsqu’elle souhaite prendre une initiative (maladroite, forcément).

Dans cet esprit, Jason Bourne : L’Héritage (Tony Gilroy), avec Jeremy Renner et Rachel Weisz, joue non seulement la carte du sérieux absolu totalement dépourvu d’humour, mais applique les codes les plus rétrogrades du genre, bien plus que dans le premier épisode de la franchise. Dans La Mémoire dans la Peau (Doug Liman), l’actrice allemande Franka Potente interprétait une jeune femme un peu paumée, sans attaches, et il était donc plus crédible qu’elle se laisse entraîner dans cette galère par Jason Bourne (Matt Damon).

Au contraire, la scientifique campée par Rachel Weisz exerce un travail qui lui a permis d’acquérir par elle-même un bon statut social. Or au contact du héros, elle va précisément se voir dépossédée de son autonomie. Attaquée chez elle dès le début par une bande de tireurs, elle est sauvée de justesse par l’agent.

Jeremy Renner et Rachel Weisz dans Jason Bourne : L’Héritage (2012) – La scène érotique du film?

Expert de ce type de situation, il arrive à point nommé, avec un plan précis dans la tête et surtout une réplique qu’il déclame en la plaquant contre un mur : « You’re gonna do exactly as I say, exactly ! » (« Vous allez faire exactement ce que je vous dis, exactement ! »). Tout est dit : pour son propre bien et pour l’intérêt général, la femme doit obéir à l’homme ; et attention, elle doit lui obéir à la lettre car si elle dévie d’un iota des ordres donnés par le héros, elle risque de provoquer une catastrophe ingérable. Cette réplique, nous l’entendons régulièrement dans les blockbusters d’action américains. Et cela dure depuis 30 ans.

Les films d’agent secret en fuite sont-ils définitivement ringards ? Peut-être bien. À moins que le genre ne soit abordé différemment. C’est le cas dans Night and Day, de James Mangold, où Cameron Diaz interprète une femme ordinaire qui rencontre un agent extraordinaire en la personne de Tom Cruise. L’idée du couple en fuite est ici employée avec beaucoup d’humour, non pas sous l’angle du fantasme masculin de briller devant une nana mais celui du fantasme féminin de vivre une aventure avec un mec sexy.

Tom Cruise et Cameron Diaz dans Knight and Day (2010) – Même posture que sur l’image précédente, mais Cameron Diaz, elle, a une idée derrière la tête…

La prise en compte du public féminin est évidente dans la scène de la moto. Passage obligé du genre, avec sa variante en voiture, ce type de scène met généralement en action le héros armé de flingues et de lunettes noires (être sexy et à la mode est capital) aux commandes de l’engin. C’est le moment où il va impressionner sa partenaire en l’embarquant dans une course-poursuite démente, pendant laquelle elle n’aura aucun contrôle et n’aura d’autre choix que de crier et de se cramponner à lui – la connotation sexuelle est à peine camouflée. Or contrairement à ses collègues féminines, Cameron Diaz ne reste pas passive : elle se retourne sur la moto, saisit les deux flingues et tire généreusement, le tout en serrant Tom Cruise entre ses cuisses. Elle prend le contrôle de la scène – et donc de sa dimension érotique.

Mais Night and Day demeure une exception : Cameron Diaz est l’une des rares actrices qui, en plus d’avoir le droit d’être sexy et drôle à la fois, peut se permettre d’imposer une telle image d’assurance, quitte à en irriter quelques-uns.

Chéri, je suis rentrée ! Ah ! J’oubliais, je ne suis pas mariée…”- Réplique du film Batman, le Défi –

La femme d’action, symbole du féminisme ?

C’est une évidence, l’inflation des budgets et la standardisation forcenée qui en découle sont largement en cause dans la pauvreté d’écriture des personnages féminins à l’heure actuelle. Le cheminement des femmes d’action est éloquent.

Alors qu’elles faisaient office d’exceptions dans les années 1980, les femmes d’action ont pris leur envol dans les années 1990, où les budgets commençaient à devenir conséquents mais n’atteignaient pas encore des sommes aussi démesurées. On a pu voir à l’époque un certain nombre de personnages valorisant la force féminine (Sigourney Weaver dans la saga Alien, Linda Hamilton dans Terminator 2, Rene Russo dans L’Arme Fatale 3, Michelle Yeoh dans Demain ne meurt jamais, etc.). Mais dans les années 2000, les action girls se sont affadies : toujours prometteuses au début du film, elles seront finalement tout juste bonnes à assister le(s) héros dans sa(leur) quête. Les choses sérieuses se déroulent entre hommes (X-Men, G.I. Joe: Le Réveil du Cobra, Green Lantern…).

Le cas typique est le traitement de la Veuve Noire dans Avengers. Compte tenu du choix de Scarlett Johansson pour incarner la super-héroïne, on pouvait s’attendre à un personnage consistant. Or si l’on dresse le bilan de ses interventions dans le film, la Veuve Noire bénéficie d’une seule bonne scène : une confrontation avec Loki qui aurait largement mérité une revanche. À l’arrivée, l’actrice révélée par Sofia Coppola dans Lost In Translation n’a même pas réussi à négocier plus de quelques plans dans le climax. Une fois que son amant (interprété par Jeremy Renner) reprend du service, il n’y a plus vraiment de raison de lui accorder autant d’importance.

Plus significatif encore est le cas de Catwoman dans la franchise Batman, vue en 1992 dans Batman le Défi de Tim Burton, puis vingt ans plus tard dans The Dark Knight Rises (2012) de Christopher Nolan. L’évolution de ce personnage entre les deux films témoigne plus que jamais de l’appauvrissement des personnages féminins dans les blockbusters entre les années 1990 et les années 2010. Ironiquement, le personnage de Anne Hathaway fait plusieurs références explicites à celui de Michelle Pfeiffer (la scène de bal masqué, la réplique soulignant le fait que Batman ne frappera pas une femme…).

Michelle Pfeiffer et Michael Keaton dans Batman, le Défi (1992)

Dans Batman le Défi, le portrait de Selina Kyle/Catwoman (Michelle Pfeiffer) est habilement brossé en quelques minutes, dont deux scènes-clés évocatrices de la question du machisme dans la société moderne : l’une où elle se fait rabaisser par son patron au cours d’une réunion, et l’autre, où elle rentre chez elle le soir et trouve un message téléphonique culpabilisant de sa mère. On reste marqué par une réplique : « Chéri, je suis rentrée ! Ah ! J’oubliais, je ne suis pas mariée… ». Cette réplique exprime tout le mal-être de la citadine des années 1990, rattrapée par la pression des conventions, perdue dans sa quête d’indépendance, paumée dans son rapport aux hommes.

Batman Le Défi

Une fois assassinée par son patron et ressuscitée par les chats, elle sort de sa coquille et se transforme en vamp pour se rebeller contre l’oppression machiste, d’où ses virées nocturnes consistant à punir les agresseurs sexuels, attaquer les symboles d’autorité mais aussi harceler Batman, dont le caractère chevaleresque l’exaspère. Au passage son accoutrement et son fouet font référence aux pratiques sadomasochistes : dans Batman le Défi, l’histoire de Catwoman est aussi celle d’une liberation sexuelle.

Si l’on lit entre les lignes, l’assassinat de Selina par son patron peut être vu comme une allusion au viol. Celui-ci se déroule ironiquement sur le lieu de travail, censé symboliser son indépendance durement acquise, une indépendance qui apparaît comme une comédie puisque, conditionnée par son éducation (une éducation sexiste dont témoignent les objets enfantins qui ornent son appartement), Selina s’est toujours comportée en femme soumise. Sa transformation en Catwoman l’amène à évoluer : au final, même amoureuse de Bruce Wayne, elle refusera d’être « sauvée » par lui.

Extrait de Batman Le Défi : de Selina Kyle à Catwoman : Dans l’extrait ci-dessous, qui se situe juste après son meurtre par son patron Max Shrek, Selina Kyle (Michelle Pfeiffer) revient chez elle en accomplissant « en mode zombie » les mêmes rituels que dans la première scène dévoilant son quotidien. Elle craque à l’écoute de ses messages téléphoniques et détruit tous les symboles de l’éducation sexiste qu’elle a reçue, et qui l’a conditionnée à se jeter directement dans la gueule du loup…

The Dark Knight Rises nous donne un tout autre son de cloche. Selina Kyle (Anne Hathaway) arrive sans background particulier et se présente tout d’abord comme une voleuse haut de gamme, habituée à s’introduire dans le monde du luxe. À sa première rencontre avec Bruce Wayne, alors en situation de vulnérabilité, elle le met à terre sans vergogne. Manipulatrice avec les hommes, qu’elle utilise comme des pantins lors de ses évasions, elle incarne la femme moderne mais une femme moderne égoïste, arrogante et fashion victim – il faut voir sa garde-robe tout au long du film !

Anne Hathaway dans The Dark Knight Rises (2012)

Au contraire de la Catwoman de 1992, son agressivité envers les hommes n’est motivée par aucune souffrance, aucun vécu particulier. La suite des événements nous apprend qu’elle possède en réalité un bon fond : elle finira par collaborer avec Batman pour servir l’intérêt général. Selina Kyle obtiendra également quelques sympathiques scènes d’action, dont une sur la Bat-moto – ce n’est pas tous les jours qu’un héros confie son engin à une femme !

Toutefois, dès lors qu’elle décide de seconder Batman, l’évolution de Selina Kyle en tant que personnage s’arrête là – et pour cause, il n’y avait pas grand chose à dire sur elle dès le départ. La destinée de Catwoman, nom qui ne sera même pas mentionné dans le film, est de devenir l’un des faire-valoir de Batman, celle qui exécute ses ordres. Cerise sur le gâteau, son accomplissement consistera… à se mettre en couple ! La féline et féministe Catwoman est ainsi domptée. Christopher Nolan commet une belle faute de goût.

L’évolution de Catwoman entre les deux films est symptomatique de celle des actions girls dans les blockbusters de ces 20 dernières années. Si les femmes d’action des années 1990 avaient tout à prouver, voire une cause à défendre, quitte à tomber parfois du mauvais côté de la barrière, celles des années 2010 font de belles démonstrations de force, sont davantage intégrées dans l’action, presque banalisées.

Leur émancipation n’est qu’une illusion : le plus souvent aux ordres d’un homme, elles ne pourront prétendre qu’au statut de simples collaboratrices, en plus d’être dénuées de véritables enjeux personnels. Sexy et indépendantes au début du film, elles sont finalement rattrapées par l’étau de la domination masculine, qui s’impose s’impose à elles comme la voie du salut, la seule qui les empêchera de sombrer vers le côté obscur.

Michelle Rodriguez dans Fast and Furious 6 (2013)

Pour émettre un bémol à ce constat, reconnaissons à quelques blockbusters récents de faire preuve d’un peu plus d’originalité. Ainsi, depuis que le réalisateur Justin Lin a pris les commandes de la franchise Fast and Furious (à partir de l’épisode 3), les personnages féminins s’en sortent plutôt bien, en particulier Letty (Michelle Rodriguez) qui réapparaît miraculeusement, alors qu’on la croyait perdue, dans l’épisode 6. Toujours aussi bad ass, Letty n’a pas perdu ses super-pouvoirs en tombant amoureuse – dans le 6e opus, sa scène de séduction avec Vin Diesel prend la forme d’un duel en voiture de course dans les rues de Londres.

À noter que Fast and Furious 6 passe avec succès le Test de Bechdel : au sein de l’équipe des héros, les femmes sont au nombre de trois et l’une d’entre elles, Gisele (Gal Gadot), affronte une méchante dans un combat sans merci. Il faut dire que Justin Lin aborde ses personnages féminins non pas comme « les femmes du film » mais comme des éléments à part entière d’un groupe mixte, dont les liens et l’esprit d’équipe participent au charme de la franchise.

La gentille et la méchante : la moralité féminine assujettie aux intérêts masculins

Sachant que la caractérisation des personnages féminins de blockbusters se réduit bien souvent au minimum syndical, il est de bon ton de respecter un certain politiquement correct. Ainsi, lorsque le film ne comporte qu’un seul rôle féminin, il s’agit généralement d’une bonne personne. Il ne s’agit pas que la « copine du spectateur » s’offusque, voire que les associations féministes montent au créneau – et pour cause puisque cette femme est perçue comme une ambassadrice de son genre.

On observe à ce titre le même phénomène dans les films ne comportant qu’un seul acteur noir : toujours un gentil ! Pas question de déclencher une polémique.

Les choses se gâtent lorsque le film met en scène deux femmes. Celles-ci seront alors systématiquement placées en opposition. Dans certains cas, cette opposition repose sur les notions de passivité et d’action. C’est le cas dans World War Z (Marc Forster) avec la jeune soldate israélienne (Daniella Kersetz) apporte un contrepoids salvateur au traitement machiste de l’épouse qui, filmée dans des espaces clos, attend sagement le retour de son homme avec les enfants. L’autre cas de figure est celui où l’une des deux femmes est maléfique. C’est le principe de la « gentille » et de la « méchante » dans un film d’action.

Famke Janssen dans GoldenEye (1995)

Attardons-nous d’abord sur la gentille, parce qu’elle le vaut bien. Épouse ou cœur à prendre, lisse et sans défaut, elle est forcément plus jeune que le héros (la différence peut aller jusqu’à 15 ans). Son profil varie en fonction de la caractérisation de ce dernier (origine sociale, traumatismes éventuels…) mais aussi du ciblage du film : elle est hot si celui-ci s’adresse aux jeunes, charmante si la cible est familiale. Elle incarne l’idéal féminin du héros, donc du public (masculin).

Cette gentille, qui ressemble comme deux gouttes d’eau à la femme passive évoquée plus haut, remplit deux fonctions. La première, c’est de séduire puisqu’elle constituera l’un des deux éléments érotiques du film, en rivalité avec la méchante. La seconde, qui prévaut particulièrement dans les films familiaux, est d’incarner une figure maternelle potentielle, ce qui se traduit parfois de manière explicite (elle a besoin de l’aide du héros pour protéger son enfant) ou moins directe (elle joue les infirmières avec le héros, le réconforte ou l’assiste dans sa mission). Cette dimension maternelle lui permet également de se différencier de la méchante.

Dans le cas où la mère du héros est présente ou bien si une autre femme incarne la figure maternelle (comme c’est le cas de M dans la franchise James Bond), la gentille sera déchargée de cette fonction et n’existera que par l’attrait amoureux/sexuel qu’elle suscite.

Matt Damon et Alice Braga dans Elysium (2013) – L’homme machine protège la mère et l’enfant

Le but de cette gentille ? Être sauvée par le héros, pardi ! Le nec plus ultra étant de finir en couple avec cet homme qui aura su éradiquer sa rivale, la méchante, ainsi que le Villain, soit le mâle dominant du groupe des méchants. C’est l’esprit de la meute si cher aux blockbusters masculins. Tout un programme.

De son côté, la méchante de blockbuster est un vrai poison. Elle fait son entrée fracassante en 1990 dans Total Recall (Paul Verhoeven), sous les traits de Sharon Stone. La douce femme au foyer, l’épouse aimante et rassurante du personnage de Schwarzenegger se transforme très vite en véritable furie, démon qui se fera finalement dégommer par son époux lui-même – « Considère ça comme un divorce », ajoute-t-il après lui avoir tiré une balle dans la tête.

On retrouve cette méchante quelques années plus tard sous l’apparence de Famke Janssen, en James Bond Girl diabolique dans GoldenEye (Martin Campbell). Particulièrement vicieuse, Xénia Onatopp assassine les hommes pendant les ébats amoureux, en les empêchant d’abord de se retirer avant de leur briser le dos entre ses jambes, atteignant l’orgasme lorsque son partenaire rend son dernier soupir… On ne peut pas faire plus explicite : la méchante de blockbuster est une femme castratrice ! La seule solution sera donc de la soumettre.

En réalité, la méchante de film d’action est un dérivé extrême de la femme fatale, qui hante notre imaginaire collectif depuis des temps immémoriaux. Cette femme fatale existe déjà dans les récits mythologiques : la Méduse, la Sirène ou encore Circé, c’est elle ! Elle répond aussi présente dans les mythologies asiatiques, au Chine, sous les traits de la femme-renarde, ou en Corée, sous l’apparence du Gumiho. On la retrouve également dans les récits médiévaux, par exemple sous les traits de la Fée Morgane dans la légende des Chevaliers de la Table Ronde.

Famke Janssen dans X-Men : L’Affrontement Final (2006)

Puissante, séductrice et transgressive, la femme fatale use de ses charmes pour attirer l’homme dans un piège et le détruire. L’idée latente est celle de la dangerosité de la sexualité féminine : si celle-ci n’est pas sous contrôle, la femme exercerait un vampirisme sexuel privant l’homme de son esprit d’indépendance et de sa virilité. Si son sort est souvent impitoyable dans les récits mythologiques ou médiévaux, il n’en est pas nécessairement de même dans le septième art : personnage complexe, la femme fatale peut trouver une forme de rédemption dans l’amour – c’est-à-dire dans la soumission à l’ordre établi, donc à l’homme.

La femme fatale hante le genre du film noir : Ava Gardner dans Les Tueurs (Robert Siodmack), Rita Hayworth dans La Dame de Shanghai (Orson Welles), Isabella Rossellini dans Blue Velvet (David Lynch)… Elle n’a jamais cessé d’exister, même dans les blockbusters actuels : Marion Cotillard dans Inception est une femme fatale.

Un personnage marque cependant un tournant dans son interprétation : Catherine Tramell, dans le thriller Basic Instinct (1992). Sharon Stone a décidément un casier bien rempli. À l’époque, le public se choque de voir une femme aussi amorale et qui plus est d’une intelligence supérieure. La transgression est totale puisqu’elle n’est même pas châtiée à la fin du film. Dans les années qui suivent, on voit fleurir différents personnages de ce genre : Linda Fiorentino dans le film australien The Last Seduction (John Dahl, 1994), Nicole Kidman dans Prête à Tout (Gus Van Sant, 1995), Natasha Henstridge dans La Mutante (Roger Donaldson, 1995)…

La différence entre la gentille et la méchante cristallise d’ailleurs tous les interdits associés aux femmes. Sachant que les personnages féminins d’un blockbuster se définissent principalement par leur apport romantique/sexuel, il est logique que les femmes dont le rapport aux hommes n’est pas « moral », c’est-à-dire dans la soumission, soient presque systématiquement des méchantes.

Par extension, une femme de pouvoir est bien souvent une méchante elle aussi. Nous avons évoqué plus haut les Chevaliers de la Table Ronde : l’opposition entre la sorcière Morgane et la pieuse Genièvre, sur fond de transition entre les croyances païennes et le christianisme, est très proche du principe de la gentille et de la méchante dans les blockbusters actuels (l’adaptation Excalibur de John Boorman propose d’ailleurs un portrait assez simpliste de Morgane). Autrement dit, la gentille, elle, est en réalité une femme soumise : son comportement est conforme aux valeurs judéo-chrétiennes.

À noter que si la femme fatale de thrillers peut espérer trouver une rédemption, la méchante de films d’action, elle, est si cruelle qu’elle se doit d’être exécutée, voire humiliée. À l’image des personnages mythologiques comme la Méduse.

Gilda (1946) – Basic Instinct (1992) – GoldenEye (1995) – Les femmes fatales fument ! La cigarette, symbole d’indépendance et de mystère, est un accessoire indispensable de la femme fatale.

La méchante n’est pas un bad guy au féminin

À propos de l’indépendance de la méchante dans les films d’aujourd’hui, n’allons pas trop vite en besogne : elle ne saurait être confondue avec une version féminine du méchant. En effet, la méchante, cette insoumise, a juré allégeance à un homme, le seul qu’elle respecte et dont elle est amoureuse, secrètement ou non : le Méchant en titre, ou villain. Quelques exemples : Mystique dans la franchise X-Men, La Baronne dans G.I. Joe : Le Réveil du Cobra, Bellatrix Lestrange dans Harry Potter, Faora-Ul dans Man of Steel

Il arrive d’ailleurs que la méchante soit possédée, comme c’est le cas du Dr Jean Grey, alias Phoenix (Famke Janssen), dans X-men – L’Affrontement Final (X-Men 3). Justement, le premier symptôme inquiétant de la possession de Jean Grey est qu’elle se jette sur un homme. La vertueuse Jean Grey, un peu coincée sur les bords dans les précédents opus, prend soudainement une initiative sexuelle. Elle se lâche enfin. Mais elle a le culot de vouloir contrôler la situation : elle est devenue une méchante. Mais une méchante soumise à une entité maléfique, ne l’oublions pas. Ainsi, les pouvoirs incroyables qu’elle manifeste par la suite ne lui appartiennent pas vraiment.

Rappelons-le, en aucun cas la méchante n’est un équivalent féminin du Villain. Par conséquent, elle ne peut prétendre aux honneurs de mener l’affrontement final avec le héros, sous peine de déviriliser celui-ci.

Jodie Foster dans Elysium (2013) – Femme et pouvoir font-ils vraiment bon ménage?

Les deux femmes du film Elysium (Neill Blomkamp) illustrent très bien le principe de la gentille et de la méchante. Femme médecin donc attentive aux autres, mère dévouée à son enfant malade, Frey (Alice Braga) représente l’idéal féminin du héros : une femme douce, modeste et attentionnée, en plus d’être charmante.

Amie d’enfance du héros, elle incarne aussi le paradis perdu. Son but est de sauver son enfant et son parcours consiste principalement à soigner le héros (Matt Damon) de ses blessures et à se faire kidnapper par le méchant (Sharlto Copley), un psychopathe barjo qui manifeste étonnamment, à son contact, des velléités de séducteur. Aliénée tout à la fois à sa maternité et sa beauté (la menace de viol est claire), elle ne pourra que s’en remettre au héros pour survivre. Ce dernier devra vaincre, en la personne du psychopathe, un dangereux criminel mais aussi un potentiel rival sexuel.

Elysium comporte un autre personnage féminin : Jessica Delacourt, une politicienne machiavélique campée par Jodie Foster. Pendant une bonne partie du film, on se réjouit de voir l’actrice accomplir un exploit : incarner le Villain, celle qui tire les ficelles. Un espoir finalement déçu : juste avant le climax, elle se fait abattre sans égard, pour laisser la place à son homme de main, le psychopathe cité plus haut, promu Méchant en titre. La mort de Delacourt est tellement vite expédiée que son prestige s’en trouve considérablement amoindri !

Ridiculiser la mort de la boss des méchants, cette femme qui a eu l’outrecuidance de défier toute la gent masculine en prenant la place du Méchant, c’est aussi la démarche de The Dark Knight Rises : rappelez-vous l’hilarité provoquée par la fin tragicomique du personnage de Marion Cotillard. Les seules exceptions sont les rares films mettant en avant des héroïnes : Catwoman, où la méchante est campée par Sharon Stone, et Charlie’s Angels, où elle est interprétée par Demi Moore. La méchante peut ici être pleinement le Villain puisque son adversaire n’est pas un homme.

En somme, plutôt que de « gentille » ou de « méchante », on pourrait parler de femme « conforme » ou non aux valeurs patriarcales.

Femme fatale ou femme en détresse, épouse fragile ou femme d’action, adjuvante ou ennemie mortelle, le second rôle féminin se définit plus que jamais, dans les blockbusters d’aujourd’hui, par des traits de caractères stéréotypés, permettant d’établir un jugement moral précis et résolument phallocentrique. Si ces stéréotypes sont si puissamment établis, c’est non seulement parce que les scénarios de blockbusters tendent à se standardiser mais aussi parce qu’ils n’envisagent, dans le fond comme dans la forme, qu’un seul et unique point de vue, celui de l’homme.

Toutefois, comme nous le verrons dans le chapitre suivant, la formule qui régit actuellement les franchises dominantes est en train de montrer ses limites, laissant potentiellement la place à d’autres histoires. Rendez-vous dans le chapitre suivant pour en savoir plus sur la crise des blockbusters de Hollywood, la singularité de blockbusters comme Twilight et Hunger Games et les chances à saisir pour glisser vers une meilleure prise en compte de la diversité du public.

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Femmes et blockbusters II : de Gravity à Hunger Games, le blockbuster de demain sera féminin

Elodie Leroy

Retrouvez aussi, dans le chapitre suivant, la liste complète des ouvrages et des articles cités dans ce dossier en deux parties.

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