Destructions massives à gogo, idéologie religieuse à deux sous, scénario rikiki… Bienvenue dans le monde merveilleux de Man of Steel, avec Henry Cavill. J’ai détesté le film et je vous explique pourquoi en détail.

Impossible de passer à côté de Man of Steel, la nouvelle adaptation cinématographique des aventures de Superman, super-héros le plus emblématique de la culture comics américaine. Armé d’un budget de production de 225 millions de dollars et d’une somme comparable allouée au marketing, le blockbuster arrivait en grande pompe le 19 juin dernier, sept ans après Superman Returns, la tentative par Bryan Singer de revisiter le mythe. Man of Steel est aussi le fruit de la rencontre artistique très attendue entre Christopher Nolan et Zack Snyder, deux cinéastes au style très affirmé, deux auteurs qui ont su démontrer ces dernières années leur capacité d’innovation, sur le plan du contenu pour Nolan et visuel pour Snyder. L’affaire s’annonçait donc plutôt bien.

Pourtant, ces deux talents n’auraient peut-être jamais dû collaborer… Si j’avais déjà quelques craintes suite aux bandes-annonces prétentieuses précédant la sortie, j’étais loin d’imaginer l’ampleur de la catastrophe, tant sur le plan artistique qu’idéologique. Chronique d’un massacre, celui d’un mythe de la pop culture américaine.

Je dois vous l’avouer, malgré mon admiration sincère pour les travaux de Zack Snyder (300, Watchmen, Sucker Punch) et de Christopher Nolan (The Dark Knight, Inception), respectivement réalisateur et producteur de Man of Steel, j’allais voir le film avec un mauvais pressentiment.

Ces réserves, je les devais tout d’abord au choix du sujet: un énième film de super-héros à l’heure où le genre n’apporte plus rien de neuf. Depuis X-Men (2000) de Bryan Singer et surtout Spider-Man (2002) de Sam Raimi, deux films qui redonnaient leurs lettres de noblesse aux histoires de super-héros marginaux et de héros masqués protégeant la veuve et l’orphelin, le genre du film de super-héros s’est développé pour prendre différentes formes, du film d’action fantaisiste au thriller politique, avec plus ou moins de bonheur mais toujours avec cette envie d’offrir un spectacle généreux porté par des personnages flamboyants.

Depuis quelques années, toutefois, on assiste à un essoufflement du genre. En témoigne le recyclage permanent des franchises à succès (X-Men) avec des acteurs de plus en plus vieillissants (Iron Man) mais aussi l’appauvrissement de l’écriture des personnages et donc des enjeux dramatiques. L’exemple le plus frappant de cette baisse de régime n’est autre qu’Avengers, divertissement honnête mais tournant véritablement à vide, faute de contenu et d’émotions, d’autant que la qualité des scènes d’action, véritable surenchère de destruction à grand renfort d’effets numériques anesthésiants, est plus que contestable.

Ce déficit d’écriture s’accompagne d’une prolifération de séquelles (Iron Man), spin-off (X-Men) ou reboots (The Amazing Spider-Man), et du lancement de franchises sans saveur (Captain America), qui ne font que renforcer le sentiment que le genre arrive à saturation.
Malgré tout, les noms de Zack Snyder et Christopher Nolan aidant, nous avions de quoi laisser une chance à ce Man of Steel.

Un autre facteur explique cependant mes appréhensions : le marketing de plus en plus envahissant qui accompagne ces blockbusters, au point de coûter plus cher que la production même du film. À ce titre, nous avons eu droit avec Man of Steel à l’une des campagnes publicitaires liées à un film les plus agressives de tous les temps.

Oubliez l’énervement passager dû à l’invasion de produits dérivés de Harry Potter ou d’images de Twilight : Man of Steel les coiffe tous au poteau. Associé à près d’une centaine de marques aux États-Unis et au moins autant à l’étranger, Man of Steel a trouvé le bon filon pour financer son marketing. Le procédé n’est pas nouveau mais il prend ici une ampleur sans précédent puisque l’affaire a permis à la Warner d’économiser près de 170 millions de dollars. Le résultat pour nous, pauvres spectateurs ? Nous pouvions voir, ces derniers mois, Superman poser sur des affiches faisant la promotion de produits divers et variés (parfums, rasoirs, hamburgers, portables…), au point qu’il était devenu difficile de distinguer, parmi ces publicités, les véritables affiches de promotion du film.

Assujettir à ce point un tel film aux marques ne revient-il pas à bafouer ce personnage qui a fait rêver des générations de garçons (et de filles), cette icône de la culture pop ? Enfin, à ce stade, peut-on encore parler de cinéma ? Ces questions se doivent véritablement d’être posées.

Il me fallait tout de même me rendre directement en salle, équipée de mes lunettes 3D à 1€ la paire, pour me prononcer. Après tout, si la réussite artistique avait été au rendez-vous, j’aurais largement pu fermer les yeux. Comme je l’ai fait pour The Dark Knight Rises, déjà victime d’une surmédiatisation et, sans surprise, nettement moins bon que l’opus précédent de la franchise Batman. Malheureusement, le résultat dépasse tristement l’imagination en termes de négligence scénaristique, de bouillie visuelle et de jeu d’acteurs au ras des pâquerettes.

Véritable concentré de destructions massives et d’explosions en tous genres, Man of Steel est peut-être l’une des productions les plus débiles que le genre ait jamais engendrées. On en viendrait presque à réévaluer à la hausse l’effroyable Green Lantern, c’est dire. Et comme s’il ne suffisait pas d’insulter l’intelligence du public, l’expérience s’accompagne d’une idéologie militaro-religieuse des plus nauséabondes.

Man of Steel, c’est donc l’histoire de Superman, paraît-il. Disons plutôt le mythe de Superman revisité à la sauce des blockbusters d’aujourd’hui, c’est-à-dire « sombre », forcément. Car depuis le succès de la trilogie Batman, il est devenu impossible de concevoir le genre autrement, comme si tout super-héros lancé (ou rebooté) actuellement se devait pour être crédible d’être repeint en noir – ou plutôt, dans le cas présent, en gris maillé. Et tant pis si ce genre de films, fantaisiste par essence, est censé interpeller l’enfant qui sommeille en nous. L’important, c’est que ce soit sombre, très sombre, et totalement dépourvu d’humour. Avec des décors ternes figurant la noirceur de l’univers des personnages, au cas où nous n’aurions pas compris ; et avec un héros torturé, hanté par une figure paternelle pesante. Comme Bruce Wayne. Sauf que Henry Cavill n’est pas Christian Bale, pas plus que l’inspiration de David S. Goyer et Christopher Nolan n’est restée la même qu’au moment de l’écriture de The Dark Knight.

Tout commence sur la planète Krypton, où Jor-El (Russell Crowe) et son épouse Lara (Ayelet Zurer, actrice israélienne) viennent d’avoir un fils, le seul bébé né par les voies naturelles puisque les autres sont cultivés dans une piscine souterraine gardée par des robots. Mais Jor-El est aussi un scientifique. Et dans le cadre de l’arrivée prochaine de l’Apocalypse, il détient la clé pour assurer la survie de l’espèce. Jor-El a la solution mais comme il tient le rôle du philosophe incompris de service, il n’est guère écouté par les membres du Conseil dirigeant, une bande de vieux sages échappés de Green Lantern (pour la lenteur d’esprit et de décision) et engoncés dans des costumes et maquillages à la Star Wars.

Les choses tournent vraiment mal lorsque le méchant général Zod (Michael Shannon), qui a son idée bien à lui quant à la manière de gérer la catastrophe, tente un coup d’Etat. Il sera finalement arrêté et condamné à errer avec ses acolytes dans une capsule cryogénique ou quelque chose d’approchant. Mais entre-temps, Zod aura pris soin d’assassiner Jor-El, qui aura quant à lui heureusement eu le temps d’envoyer son marmot à l’autre bout de la galaxie avec tous les codes génétiques des habitants de Krypton, qu’il a pris sans leur demander leur avis. « Là-bas, notre fils sera vénéré comme un dieu », promet-il à son épouse Lara, dont le seul rôle dans cette galère est d’appuyer sur un bouton sous les ordres de son mari.

Nous l’avons deviné : des années plus tard, plus précisément lorsqu’il aura atteint ses 33 ans, âge que l’on sait difficile pour tout sauveur qui se respecte, Kal-El devra affronter Zod et ses méchants complices échappés de leurs capsules.

Soyons clair, si cette première partie ne brille pas par sa subtilité et ressemble visuellement à du sous-Star Trek, elle demeure la meilleure du film, et de loin. Du moins jusqu’à ce que Russell Crowe disparaisse. Pour la suite, autant vous dire que les scénaristes ne se sont pas épuisés à la tâche.

Revoilà donc notre héros adulte, en visite touristique au Pôle Nord, où il découvre une station spatiale enfouie sous la glace depuis 18 000 ans, comme dans le Superman (1978) de Richard Donner. Justement, notre héros s’interroge intensément sur ses origines (Henry Cavill fronce les sourcils) et sur l’intérêt de ses superpouvoirs. Il repense aussi à son passé (Henry Cavill re-fronce les sourcils), ce qui donne lieu à une série de flash-back mélodramatiques et morcelés à la manière de Batman Begins, mais dans lequel Clark adolescent est interprété par Dylan Sprayberry, un jeune acteur nettement meilleur que Henry Cavill.

Comme dans Batman Begins, les visions du passé s’intéressent surtout à la relation du héros avec son père terrestre. Persuadé que Clark est voué à un destin plus élevé que le commun des mortels, le bonhomme lui assène tout un tas de leçons de morale à deux sous et fait véritablement tout, mais alors tout, pour l’empêcher de s’intégrer parmi les jeunes de son âge et de s’intéresser aux filles. Décidément zélé dans sa mission de coach, M. Kent va jusqu’à engueuler ce pauvre garçon quand il sauve ses camarades d’un tragique accident de car – le genre d’accident qui traumatise tout un pays quand il fait la Une des journaux, et qui a fait récemment beaucoup de dégâts dans Les Revenants.

En somme, Clark a écopé d’un père que n’importe quel psychiatre qualifierait d’abusif, doublé d’un fanatique religieux qui possède une conception bien à lui de la valeur de la vie. Mais comme il est joué par Kevin Costner, qui à l’instar de Russell Crowe a incarné Robin des Bois par le passé, ce père ne peut être qu’un type bien. Sa mère, elle, n’a pas vraiment son mot à dire sur l’éducation de son fils, tout comme Lara n’avait pas vraiment eu son mot à dire sur l’envoi de son bébé à l’autre bout de la galaxie (alors même que l’accouchement avait été horriblement difficile car sur Krypton, on ne connaissait pas la péridurale).

Au grand soulagement du spectateur, M. Kent père sera emporté par une tornade pour avoir voulu secourir un chien. Car si sauver des enfants d’un accident de car n’est pas indispensable, on peut bien faire veuve sa femme et traumatiser son fils pour l’amour d’un berger allemand.

Mais revenons au séjour de Clark au Pôle Nord. S’il vient à peine de se libérer de l’emprise malsaine de son père adoptif, ne croyez pas qu’il va enfin pouvoir chercher sa propre voie, comme tout héros le ferait à sa place. Non car le jeune homme récupère alors son autre père, ou plutôt l’hologramme de son père biologique, qu’il croise dans les couloirs du vaisseau abandonné et qui s’avère pouvoir interagir avec lui sans difficulté. Après lui avoir fait visiter les lieux, Jor-El lui raconte en détail l’histoire de sa planète. Et s’il oublie un peu de lui parler de sa mère, qui n’a après tout pas beaucoup d’importance, il lui met tout de suite les choses au point sur sa mission : seul survivant de son espèce (ce qui ne l’affecte d’ailleurs pas vraiment), Clark devra défendre son nouveau royaume, la Terre, contre les méchants. Autant dire que notre Clark n’est pas près de résoudre son complexe de père tyrannique et castrateur (de quoi faire froncer les sourcils à Henry Cavill).

Apparemment doué des mêmes talents que Harry Seldon dans Fondation d’Isaac Asimov, Jor-El avait également prévu l’arrivée sur Terre du général Zod qui, rappelons-le, était aux dernières nouvelles censé errer avec ses copains dans une capsule pour l’éternité. Évidemment, Jor-El ayant été tué avant la condamnation de Zod, il n’était peut-être pas au courant.

Tel le père d’un héros mythologique transmettant son épée, Jor-El lègue à son fils un héritage de grande valeur, à savoir le costume rouge et bleu de Superman, ou plutôt une tenue en mailles grisâtres copiée sur celle de Spider-Man, sans slip rouge et conservée dans ce qui ressemble à une vitrine de magasin – présentoir tournant, rétro-éclairage, -20% sur la cape.

Juste à ce moment-là, une certaine Loïs Lane (Amy Adams) ne trouve rien de mieux que de ramener sa fraise et d’énerver une robot-sentinelle (sorte de miroir volant, avec des billes métallisées et 3D) en la photographiant avec son appareil Nikon tout neuf. Jetée au sol, elle risque d’abîmer sa belle tenue Canada Goose et de casser son Nikon, et toute sa panoplie d’objectifs avec. Heureusement, notre héros est doté d’une super-ouïe et s’il n’avait pas entendu Loïs Lane pénétrer dans les lieux, il l’entend bel et bien crier. Tel un chevalier servant, il sauve la belle et soigne ses blessures grâce à ses yeux laser.

C’est le début d’une série de sauvetages qui constituera l’axe majeur, pour ne pas dire unique, de la « romance » entre les deux personnages, une romance qui nous tiendra bien entendu en haleine. Le reste, vous l’avez compris, n’est qu’une succession de scènes où les méchants jouent aux méchants (avec parmi eux une méchante brune aux cheveux courts, comme dans Superman 2) et où Superman joue les sauveurs.

A noter que Superman devra aussi mater Christopher Meloni, échappé de New York : Unité Spéciale, motivé en militaire bien brave mais qui ne fait pas trop de détails quand il s’agit de protéger le peuple américain, puisqu’il tire sur tout le monde sans distinction. L’alerte maximum sera lancée lorsque Zod dégainera son arme ultime : une machine à briser la gravité, qui fait également office de spot de lumière bleue et d’aspirateur géant (mais qui n’aspire que les voitures).

Pour résumer, nous sommes face à un héros dont l’unique trait de caractère est d’être hanté par la mort de son père et dont le passé se résume à s’être fait embêter par ses camarades de classe. Mis à part cette définition sommaire de la psychologie du personnage, nous ne saurons rien. Clark Kent demeure, tout au long du film, désespérément autiste et déconnecté des autres personnages, avec lesquels il n’a quasiment aucune interaction, à part Loïs. Il ne possède même pas un semblant d’univers personnel susceptible de lui apporter du relief. Guère aidé par le jeu inexistant de l’acteur principal, dont les changements d’expression se résument à froncer les sourcils et à pincer la bouche, le traitement du personnage est tout simplement absent.

Cela va même plus loin puisque Man of Steel évacue sans vergogne le thème de la double identité, propre aux super-héros. Ce thème était crucial dans le Superman de Richard Donner mais aussi dans les séries Loïs et Clark, qui s’attardait sur la relation entre les deux personnages, et Smallville, qui s’intéressait à la genèse du super-héros. Si l’on prend pour parti que Superman est un héros masqué comme les autres (même si, comme le souligne avec pertinence Bill dans Kill Bill, Superman est le seul à se masquer dans la vraie vie, au moyen de ses lunettes et de son attitude de journaliste timoré), l’absence du thème de la double identité est une vraie trahison pour le genre.

D’autre part, où est passé l’office majeur qu’est censé remplir un super-héros, à savoir sauver la veuve et l’orphelin ? Tout l’intérêt d’un héros masqué/super-héros, est qu’il commence par sauver modestement des innocents de situations banales (accident de voiture, agression par des voyous, etc.) et devient donc un héros local avant de prendre une dimension plus grandiose – et donc plus symbolique.

Dans Man of Steel, non seulement le super-héros ne sauve personne mais il n’y va pas de main morte dans la destruction. Si Man of Steel se veut le premier épisode d’une franchise, on se demande bien ce que pourront raconter les suivants étant donné que le premier chapitre a déjà grillé toutes les étapes narratives et psychologiques formant la construction du super-héros. En réalité, Man of Steel fait tout simplement disparaître le personnage de Clark Kent en tant que tel.

De la disparition de Clark Kent découle celle de Loïs Lane, plus inconsistante et désincarnée que jamais dans Man of Steel – elle coiffe au poteau le personnage insipide incarné par Kate Bosworth dans Superman Returns, un personnage qui avait au moins le bon goût de bénéficier d’enjeux personnels.

 

En vérité, la comparaison entre Man of Steel et le Superman de Richard Donner témoigne de la crise du romantisme que traverse actuellement le cinéma américain. Je m’explique. Tout le charme du personnage de Christopher Reeve venait de ce portrait d’homme un peu nunuche, jamais écouté quand il sort quelque chose d’intelligent et bien sûr secrètement amoureux de son intimidante collègue Loïs Lane. La romance entre Superman, dans son costume de super-héros et sans ses lunettes, et la même Loïs Lane, sans son costume de journaliste battante et arrogante, les faisait apparaître tous les deux sous un autre jour, lui en homme fort et sûr de lui, elle en femme romantique.

Nulle contradiction entre les deux visages de Loïs : nous étions dans les années 70 et le féminisme avait fait son œuvre, permettant aux femmes de travailler et aux plus déterminées d’entre elles d’exercer des « métiers d’hommes », à condition d’avoir su se forger une carapace. Chez Richard Donner, Loïs était une journaliste à la fois battante et compétente, en plus d’être foncièrement culottée et parfois rigolote à ses dépens. Elle ne maîtrisait pas tout mais elle en imposait. Elle était humaine. Le regard porté sur elle était empreint de tendresse et d’humour.

Si l’on ne peut nier les progrès réalisés sur les personnages féminins dans les années 1990 et 2000, malgré quelques blocages persistants (sous-représentation des femmes, monopole quasi exclusif du regard par les personnages masculins), Man of Steel rectifie catastrophiquement le tir en délivrant une Loïs Lane qui revient aux fondamentaux du machisme au cinéma. A savoir un personnage qui n’existe qu’à travers ses pathétiques interactions avec le héros et qui ne fait l’objet, par ailleurs, d’aucun travail d’écriture. Tout juste nous balance-t-on qu’elle a obtenu un prix Pulitzer et la voit-on discuter avec son patron. Et puis c’est tout. Lorsqu’on l’aperçoit furtivement à la fenêtre de son appartement, la caméra ne prend même pas le temps de nous montrer l’intérieur de celui-ci – procédé habituellement mis à contribution pour caractériser un personnage. Lois Lane, personnage phare de la mythologie Superman, se retrouve ici reléguée au rang de potiche tout juste bonne à tomber dans le vide pour être rattrapée au vol par le super-héros – une fois aurait pu passer mais Man of Steel nous sert la séquence à répétition, jusqu’à exaspération de la spectatrice.

Pour l’alibi, Loïs est tout de même impliquée dans une scène d’action : prise en otage pour on ne sait quelle raison, elle embarque dans le vaisseau du général Zod et réussit furtivement à compromettre ses plans. Mais elle le fait sous les ordres d’un homme – l’hologramme de Jor-El – et ne bénéficie ainsi d’aucune occasion de prendre une quelconque initiative.

Quant aux autres personnages secondaires… Quels personnages secondaires ? Michael Shannon (Les Noces Rebelles, Les Runaways), habituellement excellent, arrive à insuffler une certaine rage au général Zod mais il ne dispose pas de suffisamment de matière pour apporter les nuances nécessaires. Il suffit de repenser deux minutes à Tom Hiddleston dans Thor pour réaliser la pauvreté de l’écriture du méchant de Man of Steel. Seul Russell Crowe apporte un peu de chaleur à ce film froid comme du marbre, même si ses interventions holographiques relèvent de la pure facilité de scénario.

A la place des sentiments et des idéaux, l’industrie du cinéma la plus puissante de la planète nous envoie sa propagande nauséabonde à la gloire du drapeau américain : nous apprenons tout de même à la fin du film que Superman va travailler avec le gouvernement et l’armée américaine. Le tout à grand renfort de métaphore religieuse absolument grotesque, voyant Superman demander conseil à un prêtre (bravo à l’acteur qui a provoqué un éclat de rire dans la salle rien qu’en déglutissant), ou encore se jeter dans le vide avec les bras en croix. Plus subtil, tu meurs.

Il faut savoir que, pour la promotion du film aux États-Unis, la production a organisé des projections gratuites auprès de pasteurs, lesquels se sont également vus remettre un argumentaire afin de les aider à préparer un sermon comparant Superman à Jésus Christ.

Mais pour un avatar de Jésus, notre Kal-El n’a pas l’air d’un philanthrope : tout juste condescend-il parfois à s’adresser à un représentant de l’humanité (Loïs, la plupart du temps). Pour le reste, le super-héros reste vissé sur son piédestal et prend de haut toute la race humaine. Heureusement, les citoyens de Metropolis n’oublient pas de baisser craintivement la tête sur son passage. Au nom du Bien, notre héros n’hésitera pas à envoyer valser les voitures dans les airs, à casser des immeubles et à transpercer des usines, au risque de faire ressembler Man of Steel à une gigantesque entreprise de destruction massive tout juste entrecoupée de temps à autre par des séquences dialoguées.

Au passage, entre Transformers 3, Avengers et Man of Steel, l’action se résume de plus en plus à des traits passant devant l’écran et suivis de chocs, de casse et d’explosions. Quand les corps en mouvement disparaissent de l’image, noyés dans les effets numériques et les explosions, peut-on, là encore, parler de cinéma ?

Le plus désolant est certainement de lire au générique d’un tel naufrage artistique le nom de Christopher Nolan, que l’on croyait à l’abri d’une telle débauche. Producteur du film, l’auteur des brillants The Dark Knight et Inception est également crédité en tant que créateur de l’histoire, aux côtés de son scénariste David S. Goyer.

Au contraire du réalisateur Zack Snyder, qui s’est distingué ces dernières années par plusieurs films osés mais sanctionnés par des bides commerciaux (Watchmen, Le Royaume de Ga’Hoole, Sucker Punch), Christopher Nolan enchaîne les succès : après The Dark Knight, qui a rapporté au total plus d’1 milliard de dollars de recettes (dont plus de $500 millions aux États-Unis), le cinéaste a réitéré l’exploit avec Inception, succès critique et commercial ($830 millions de recettes environ), puis avec The Dark Knight Rises (plus d’$1 milliards de recettes à travers le monde).

Sachant que le pouvoir d’un réalisateur à Hollywood se mesure aux scores de ses films au box-office, il n’y a pas trop de doute à avoir sur la balance des pouvoirs entre Nolan et Snyder. On conçoit par ailleurs aisément l’intérêt pour Snyder de travailler sur un tel projet afin de renforcer son assise dans l’industrie. Au passage, l’univers visuel de Man of Steel est cent mille fois moins inventif que celui de Sucker Punch, le dernier Zack Snyder…

Pour couronner le tout, j’ajouterais que les concepteurs de Man of Steel ne se sont pas gênés pour repomper des idées ailleurs : la machine gravitationnelle aspirante évoque à mon goût d’un peu trop près les machines de Skyline (des frères Strause), un film certes dispensable mais qui avait le mérite de prouver qu’il était parfaitement possible d’orchestrer son invasion alien avec 10 millions de dollars en poche – le budget de Man of Steel divisé par 23.

Dans la même idée, mais avec davantage de poésie et d’atmosphère, on se souvient de l’envoûtant Monsters (Gareth Edwards), film de science-fiction britannique dans lequel un couple traversait une forêt tropicale envahie par d’inquiétantes créatures extra-terrestres. Un film bricolé avec 500 000 dollars.

Heureusement, il existe encore des talents capables de se lancer des défis, même dans des genres aussi chers que la SF. Au lieu de pécher par prétention et par excès, Christopher Nolan, qui a débuté avec des films à micro-budget, devrait en prendre de la graine et se souvenir d’où il vient.

Elodie Leroy

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