Le réalisateur de Silent Hill revisite le célèbre conte de La Belle et la Belle avec une superproduction formellement élégante, mais machiste sur le fond.

À l’heure où la plupart de nos productions sont calibrées pour la télévision, on ne peut que se réjouir du succès commercial de La Belle et la Bête, dernier film en date de Christophe Gans, soit l’un des seuls réalisateurs français actuels à avoir à cœur de nous offrir du grand spectacle. Si le marché français ne suffit pas à en faire une opération rentable, il a tout de même attiré près de 2 millions de spectateurs dans les salles obscures de l’hexagone et s’est vendu dans de nombreux pays.

Pourtant, malgré toute la bonne volonté du monde, je n’ai pas été convaincue par le film. Ayant toujours apprécié le cinéma de Christophe Gans – l’esthétique manga de Crying Freeman, les mystères du Pacte des Loups, l’atmosphère oppressante de Silent Hill… – j’aurais voulu vous dire que sa version de La Belle et la Bête apportait un coup de neuf à la légende. Or c’est exactement le contraire qui s’est produit…

Production de luxe made in France

De courage et d’ambition, l’entreprise de Christophe Gans ne manque pas. Il fallait du courage pour monter un film comme La Belle et la Bête en France, où tout ce qui a trait à l’imaginaire est bien souvent mésestimé, voire dénigré, et où le romantisme n’a plus droit de cité. Il en fallait aussi pour s’attaquer à ce conte classique et se frotter ainsi aux précédentes adaptations filmiques, à commencer par le chef-d’œuvre de Jean Cocteau, encore vivace dans les esprits ; depuis, malgré les multiples versions au cinéma comme à la télévision, seul le film d’animation des studios Disney a véritablement réussi à apposer sa marque.

Enfin, le projet nécessite de l’ambition pour des raisons évidentes : 35 millions d’euros de budget, un casting vendeur, un travail minutieux sur la direction artistique…

Commençons par les qualités de cette production de luxe, car il y en a bel et bien et elles apparaissent au premier coup d’œil.

Maquillage bestial et robes de princesse

Avec ses décors chiadés fourmillant de détails, La Belle et la Bête utilise en abondance les effets digitaux puisque le film est presque intégralement tourné devant un écran vert. Pourtant, à l’exception de quelques plans d’ensemble, l’image ne souffre pas de l’effet désincarné que l’on peut déplorer dans pas mal de blockbusters hollywoodiens actuels. Et si l’on eut aimé que la Bête soit recréée au moyen d’un maquillage artisanal, le design s’avère suffisamment fin pour que la créature prenne vie à l’écran.

Il nous faut également saluer le travail splendide sur les costumes, en particulier sur les toilettes de Belle… Je l’avoue, ses robes de princesse ont ravivé mes fantasmes de petite fille !  S’appuyant sur quelques éléments qui rappellent de loin le film de Cocteau (manches bouffantes, décolletés plongeants), le style du personnage est revisité avec élégance et se pare de couleurs flamboyantes, de textures délicates et d’accessoires somptueux. Certaines toilettes s’avèrent délicieusement tape-à-l’œil (la robe et la coiffe rouge vif), apportant la petite touche d’extravagance qui fait par ailleurs un peu défaut dans les partis pris visuels du film.

La Belle et la Bête est ainsi l’occasion de souligner un atout du cinéma de M. Gans : si ses films se veulent accessibles au plus grand nombre, ils n’en demeurent pas moins soutenus par un vrai travail de recherche artistique. Ainsi, là où les films d’un Luc Besson utilisent le langage cinématographique de manière purement fonctionnelle, La Belle et la Bête voit son esthétique visuelle et sonore mise au service de l’évolution du personnage principal.

La connexion étroite qui s’établit entre Belle et la nature foisonnante qui l’entoure vient d’ailleurs appuyer un propos écologique qui n’est pas sans rappeler l’œuvre de Miyazaki – certaines séquences oniriques évoquent Princesse Mononoke. Pourquoi pas.

Sur le plan formel, les films de Gans ont toujours du style – ce qui manque cruellement aux productions françaises – et La Belle et la Bête en est une démonstration éclatante. C’est sur le fond que le film dérange. Au banc des accusés, une écriture insuffisante, un casting qu’il faudrait revoir de fond en comble et un propos fumeux sur la sexualité féminine.

La romance réduite au minimum syndical

Le premier problème du film vient de la difficulté à définir sa cible. Gans affiche une intention louable de s’adresser aux enfants en agrémentant l’univers du château de créatures toutes mignonnes (les beagles mutants qui hantent le palais), et de proposer parallèlement une autre lecture pour les adultes, à travers les nombreux symboles sexuels (même s’ils ne sont pas toujours très subtils). Soit. Mais pour que cela fonctionne, il était vital de mener en amont un travail approfondi sur les personnages. Or ce travail est exactement ce qui manque dans La Belle et la Bête.

Rappelons-le, La Belle et la Bête est une histoire d’amour. Si Christophe Gans entend y ajouter un propos écologique ou sur la crise économique, grand bien lui en fasse. Du moment que le public retrouve ce qu’il est venu chercher : de l’amour, du sentiment. Ce qui veut dire que les personnages devraient en partie se révéler à travers la romance, qui constitue le fil rouge de l’histoire. Or la romance à proprement parler se réduit au minimum syndical, faute d’un nombre suffisant de scènes entre la Belle et la Bête.

Si l’on sent la lutte de pouvoir qui se joue entre les deux protagonistes, on ne perçoit pas vraiment la naissance de l’amour chez la jeune captive, dont le film adopte pourtant le point de vue avec l’intention évidente de raconter son éveil sexuel et amoureux. Les sentiments de Belle semblent se réduire à la culpabilité qu’elle ressent lorsqu’elle se trouve loin de lui – et ça, ce n’est pas de l’amour mais de l’emprise psychologique. On est loin de la poésie et des envolées lyriques du film de Disney.

Le désir, quant à lui, n’est figuré que dans la scène de danse (plutôt réussie). Ou presque. Le contact physique brutal qui survient sur la glace, alors que Belle tente de s’échapper du château, est une allusion sexuelle évidente. Et une allusion un peu limite, si l’on envisage la scène du point de vue féminin, comme si l’éveil sexuel d’une jeune fille ne pouvait passer que par la violence masculine.

Dès lors qu’il s’agit de filmer son acteur principal, Gans n’assume pas le point de vue féminin qu’il a décidé d’adopter. Ainsi, même lorsque Belle découvre le passé du prince dans le miroir, et que celui-ci apparait sous son visage humain (c’est-à-dire sous les traits de Vincent Cassel) à travers les yeux de la nymphe des bois, le réalisateur ne fait rien, mais alors strictement rien, pour sublimer son physique si particulier. Pourtant, ces rêveries ne sont pas dénuées de voyeurisme et il y avait donc matière, même en restant très pudique, à érotiser davantage le regard féminin. Pour cette fois-ci, Christophe Gans rate en beauté son rendez-vous avec le female gaze*.

Les bouffons du film en vedette

La Belle et la Bête aurait non seulement gagné à soigner davantage sa romance mais aussi à consacrer un peu moins de temps de pellicule aux bouffons qui font office de méchants… Un défaut qui a tout à voir avec la carence d’écriture développée précédemment : axé sur l’action au détriment de l’émotion, le climax fait passer les deux protagonistes principaux au second plan, donnant presque l’impression que les vedettes du film sont en réalité les méchants.

Dans une histoire d’amour, négliger le point de vue du couple romantique dans le final est une erreur fatale ! Pas étonnant que l’aveu final de Belle (« Mais je vous aime déjà !« ) arrive comme un cheveu sur la soupe à la fin de la scène, alors qu’il aurait dû être la conclusion d’une montée en puissance de l’émotion…

Si encore les seconds rôles étaient charismatiques, on aurait presque pu pardonner une telle erreur, mais c’est loin d’être le cas. À ce propos, un dépoussiérage du traitement de ces personnages n’aurait pas été un luxe, surtout s’ils sont censés être porteurs d’une réflexion sur la lutte des classes et la crise économique.

N’importe quel méchant de dessin animé japonais aurait fait mieux que le bad guy de cette version de La Belle et la Bête, le mauvais bougre qui a chipé sa cicatrice à Albator et qui répond au doux nom de Perducas (rien à voir avec le Père Ducras, même si le film des Inconnus est sorti le même jour). Son interprète, Edouardo Noriega, acteur espagnol pourtant recommandable, semble se livrer à un concours de la prestation la plus pitoyable avec sa partenaire (Myriam Charleins), la chamane qui regarde dans le vague continuellement.

Mention spéciale à leur échange dialogué au bord du gouffre, qui remporte la palme du comique involontaire.

Pour le titre du duo le plus ridicule, ils trouvent des adversaires de taille avec Audrey Lamy et Sara Giraudeau, qui campent les deux sœurs stupides et mauvaises de Belle. Au passage, après des décennies de féminisme, on s’attendait quand même à une modernisation du regard sur ce type de personnage, dont le comportement illustre la soumission à l’ordre patriarcal. Et dire qu’une femme (l’auteure Sandra Vo-Ahn) cosigne le scénario !

L’échec de la romance et l’attention inutile portée à ces seconds rôles donne l’impression d’un film mal défini, qui peine à choisir entre une pelleté de thématiques amorcées mais dont aucune n’aboutit à quelque chose de concluant.

La romance improbable de Léa Seydoux et Vincent Cassel

Mais ce qui plombe le plus La Belle et la Bête, c’est le couple vedette du film. D’abord parce que Léa Seydoux ne fait pas une Belle très convaincante : il lui manque ce soupçon d’innocence dans le regard, ce résidu d’enfance propre aux héroïnes de conte, et qui, dans l’histoire, doit se heurter à la découverte du masculin d’une part, et de sa propre sensualité d’autre part. Il faut dire qu’elle est un peu âgée pour jouer les jeunes filles ignorant les choses de la vie.

Les compétences de l’actrice ne sont même pas en cause : il s’agit juste d’une erreur de casting, une vraie, dans les grandes largeurs. D’ailleurs, il eut été plus judicieux de nous faire découvrir une nouvelle tête, plutôt que de se reposer sur la notoriété d’une actrice en vogue. Pour Léa Seydoux, le pari s’avère cependant gagnant : grâce à La Belle et la Bête, elle se positionne enfin sur le terrain du blockbuster grand public, un territoire qu’elle peinait justement à conquérir.

Abordons à présent le cas Vincent Cassel… Mettre Vincent Cassel dans un tel rôle, c’est un peu comme mettre Gérard Depardieu en personnage historique : tellement attendu que cela en devient un énorme cliché. D’autant qu’on a connu l’acteur plus inspiré : il se contente de jouer la carte du contraste à outrance entre les deux facettes du personnage, et si sa voix fait habituellement partie de ses atouts de séduction, elle s’avère étrangement sans saveur pour la Bête. Sous forme humaine, Cassel se montre cabotin et sans finesse en jeune premier arrogant.

Jeune premier, avons-nous dit ? Nous en venons à un autre souci majeur du film : l’âge du prince et sa différence d’âge avec sa dulcinée… Léa Seydoux est déjà trop âgée pour jouer les jeunes filles en fleurs, mais avec Vincent Cassel, on touche le fond.

Entendons-nous bien : le même acteur était très sexy, il n’y a pas si longtemps, face à Natalie Portman dans Black Swan. Leur relation était sulfureuse, leurs corps-à-corps dans la salle de danse troublants. Le film œuvrait dans un registre plus mature et l’on comprenait très bien l’emprise qu’il avait sur elle.

Dans La Belle et la Bête, le même acteur se ridiculise à se prendre pour ce qu’il n’est plus : un jeune premier. Il y a quinze ou vingt ans, Vincent Cassel aurait fait un superbe prince de conte de fées, superbe car singulier, aux antipodes des princes à la sauce Disney. Mais aujourd’hui, il n’a plus l’âge de jouer à ça ! Too old for this shit, dirait Murtaugh dans L’Arme Fatale 4. Au fait, à presque cinquante balais, le prince ne devrait-il pas être devenu roi ?

Le fond machiste du film

Et non et encore non, vingt ans d’écart dans un couple de conte de fées, ce n’est ni glamour ni sensuel. C’est au mieux suranné, vieux jeu. Au pire un déni total des fantasmes des jeunes filles.

Doit-on rappeler que La Belle et la Bête est un conte de fées ? Un conte dont l’histoire d’amour emprunte certes des chemins non conventionnels et peut donner lieu à plusieurs lectures. Mais un conte qui s’achève par un dénouement limpide, une récompense pour l’héroïne qui a su voir au-delà des apparences : le monstre se transforme en prince charmant. Et comme nous l’avons vu, Cassel n’a plus l’âge de jouer les princes charmants.

Quoiqu’on en dise, ces histoires de princes et de princesses sont au départ destinées aux jeunes filles. Ce n’est certes pas moi qui vais critiquer l’intention d’universaliser le propos en s’adressant à un public mixte et de tout âge. Mais il ne faut pas perdre de vue les attentes du cœur de cible. Que dis-je, il faut respecter ce cœur de cible. Et éviter de tomber dans le piège de l’appropriation des codes féminins par les fantasmes masculins.

Un tel couple plaira indubitablement aux hommes d’âge mûr qui rêvent de retrouver leur jeunesse. Mais les jeunes filles, elles, ne s’y retrouveront pas. En tant que trentenaire, j’ai trouvé bien triste de voir, à la fin du film, une jeune fille en fleurs finir avec un homme qui a l’âge d’être son père sans avoir connu l’amour avec un jeune.

L’idée est d’autant plus navrante qu’elle montre que les créateurs du film n’ont pas vraiment compris le conte qu’ils ont tenté d’adapter. La conclusion donne l’impression que Belle quitte une figure paternelle pour en trouver une autre, qu’elle fait tout ce chemin intérieur pour finalement revenir à son point de départ, sans jamais réussir à résoudre son complexe d’Électre (équivalent, ou presque, du complexe d’Œdipe pour les filles).

Bon, et si l’on y réfléchit, le parti pris de faire du glamour destiné aux personnes d’âge mûr est-il vraiment cohérent avec la présence de bestioles pour les petits ?

Si cette faute de goût est aussi irritante, c’est aussi parce qu’elle est symptomatique d’une forte tendance dans le cinéma français actuel, où il est devenu rarissime de trouver un couple situé dans la même tranche d’âge.

Bien entendu, toutes les modalités de couples sont envisageables au cinéma, comme dans la réalité, et il ne s’agit pas de stigmatiser les personnes qui tombent amoureuses d’une autre nettement plus âgée ou plus jeune qu’elles. Mais il ne faut pas se voiler la face : cette situation ne représente pas la majorité des couples. Or dans le cinéma français d’aujourd’hui, c’est devenu la norme – uniquement quand l’homme est plus âgé, il va sans dire. En témoignait, il n’y a pas si longtemps, le récent remake d’Angélique par Ariel Zeitoun, où Gérard Lanvin jouait les jeunes premiers de 63 ans face à une partenaire de 24 ans…

De qui se moque-t-on ? Jusqu’où iront les cinéastes d’aujourd’hui pour travestir les rêves des jeunes filles ? (oui, Angélique était l’une de mes héroïnes quand j’étais gamine).

Si tous les goûts sont légitimes, la négation des évolutions de la société que sont l’émancipation des femmes et la libération sexuelle des femmes n’est pas acceptables. Ces évolutions, le cinéma français semble avoir énormément de mal à les accepter, engoncé qu’il est dans le passéisme dès lors qu’il s‘agit des relations hommes/femmes. Au passage, ce triste constat montre à quel point notre cinéma est dominé par le point de vue masculin.

Alors non, le couple Cassel-Seydoux n’est pas sexy dans un conte de fées. Il est ringard et androcentrique.
Et le rêve dans tout ça ? Il s’est perdu en route.

Elodie Leroy

*J’emploie le terme female gaze en référence au male gaze théorisé par la critique britannique Laura Mulvey dans son ouvrage Visual Pleasure and Narrative Cinema (1975). Voir sur le dossiers Femmes et Blockbusters : 35 ans après Ripley, où en est-on ? publié sur StellarSisters.com.

 

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