L’acteur chinois Jackie Chan a donné une table ronde en France lors de la sortie du film New Police Story. Elodie était invité à l’événement et en a gardé un bon souvenir.

En 2005, Jackie Chan était venu passer quelques jours à Paris pour rencontrer son public français, donner une Master Class et participer à une table ronde avec une poignée de journalistes français. Une table ronde d’une heure trente qui s’est déroulée à l’Hotel du Crillon, Place de la Concorde à Paris, et à laquelle j’ai eu l’honneur d’assister, aux côtés de confrères d’Ecran Large, Mad Movies, Cinémasie, HK Cinemagic et quelques autres.

Si cette interview commence un peu à dater, j’ai grand plaisir à la remettre au goût du jour puisque la légende vivante des arts martiaux ne s’est pas seulement exprimée sur son film du moment – New Police Story de Benny Chan – mais aussi sur son expérience hollywoodienne. Il est rare de voir un acteur de ce calibre parler de l’industrie dominante avec une telle franchise et une telle lucidité, comme vous allez le découvrir.

En d’autres termes, cette interview est toujours d’actualité et l’analyse de Jackie Chan peut largement s’appliquer à l’expérience d’autres acteurs asiatiques qui tentent aujourd’hui, huit ans plus tard, leur chance à Hollywood…

Jackie Chan dans New Police Story (2004)

Table ronde avec Jackie Chan

Que ressentez-vous vis-à-vis de cet hommage qui vous est rendu à travers le festival Paris Cinéma ?

Jackie Chan : Je suis très surpris de recevoir ce prix qui est très particulier pour moi, parce qu’il ne vient pas d’un pays asiatique. J’ai l’habitude en Asie, que ce soit à Taiwan, à Singapour, en Chine, ou quelque partie de la Chine que ce soit, de recevoir des prix. Chaque fois qu’ils pensent à remettre des prix, ils se disent : « D’abord on va remettre un prix à Jackie Chan ». Donc avoir un prix aux États-Unis ou en France, c’est un véritable honneur pour moi.

A propos de New Police Story, comment le projet a-t-il été initié?

Quand j’ai achevé Rush Hour 2 et Shanghai kid 2, le gouvernement de Hong Kong m’a demandé de revenir afin de continuer à faire des films à Hong Kong. J’ai créé une société de production qui s’appelle JCE, parce que je n’avais pas le temps de faire autre chose que de produire des films.

Puis Benny Chan est venu me voir avec le scénario de New Police Story. Pour le choix de l’acteur principal, il hésitait entre Jacky Cheung, un chanteur (ndlr : vu aussi dans Une Balle dans la tête, de John Woo), et Tony Leung Kar-Fai (ndlr : vu dans Victim, de Ringo Lam). Mais je me suis dit que ces deux acteurs ne pouvaient pas jouer des superflics, que le seul à Hong Kong à pouvoir jouer un superflics, c’était moi. A ce moment-là, j’avais d’autres choses à faire et j’ai dû quitter Hong Kong, mais mon manager a insisté.

Le budget s’élevait à l’époque à 2 millions de dollars et il m’a dit que je devais essayer quand même. Ça tombait bien parce que j’avais envie d’interpréter un rôle plus dramatique et de faire une pause de la comédie, alors j’ai accepté. Et au final, le budget est monté à 15 millions de dollars.

Nicholas Tse et Jackie Chan dans New Police Story (2004)

Au début du film, on vous voit vomir, boire, pleurer en vous traînant par terre… On a alors l’impression que vous voulez casser cette image très forte que vous avez construite. Était-ce volontaire ?

Oui, parce que je voulais vraiment changer de personnage. Je voulais montrer au public que je n’étais pas seulement un combattant et un comique mais aussi un très bon acteur (rires). A l’issue de ces dix dernières années, où j’ai fait surtout des comédies, j’ai réalisé que je voulais changer et prendre une direction comme l’a fait Robert De Niro, c’est-à-dire montrer que je peux tout faire, tout essayer.

Et d’ailleurs, quand vous voyez les vomissements, dans tous les films ils ne vomissent qu’en une fois et après c’est fini. Regardez-moi dans New Police Story ! Je vomis, je vomis, je vomis… ça dure longtemps parce que j’ai ingurgité deux grandes bouteilles d’eau avant de tourner cette scène ! Je voulais vraiment montrer que je pouvais le faire.

C’était la même chose quand je devais pleurer et c’était d’ailleurs extrêmement difficile. Personne ne devait me parler dans ces moments-là parce que je devais me concentrer sur l’état de tristesse dans lequel se trouvait mon personnage. Il fallait que je sois vraiment dans sa peau.

Jackie Chan dans Crime Story (1993)

Maintenant que vous avez fait New Police Story, qui est un film au ton très sérieux, est-ce que vous réévaluez Crime Story, le film que vous aviez fait en 1993 avec Kirk Wong?

C’est très différent. Dans Crime Story, le personnage est en quelque sorte un superhéros : il ne tombe jamais, il a une grande confiance en soi et il sait qu’il va réussir. Ce n’est pas une vision réaliste du policier parce que rien ne l’effraie. C’est un superflic que rien ne peut arrêter, il n’est pas humain.

Dans New Police Story au contraire, je joue un personnage qui a perdu toute confiance en lui, qui pense qu’il n’atteindra jamais son but parce qu’il n’a pas réussi à combattre ses ennemis. Donc les deux rôles n’ont rien à voir.

Ces dernières années la santé du cinéma hongkongais n’était pas florissante, mais depuis quelques temps les choses semblent s’améliorer. Est-ce que les nouveaux accords avec la Chine, en particulier la levée des quotas sur les productions de Hong Kong, ont changé quelque chose ?

C’était difficile et cela devient effectivement plus facile avec les accords. Pour commencer, le gouvernement chinois permet maintenant aux Chinois de faire du tourisme et d’aller à Hong Kong, donc la Chine est en train de s’ouvrir. C’est la même chose en ce qui concerne les tournages : auparavant, lorsqu’on tournait un film avec la Chine, il fallait obligatoirement qu’au moins deux des comédiens viennent de Chine continentale. Ce n’est plus le cas maintenant et c’est devenu plus facile pour nous de tourner des films avec la Chine.

Jackie Chan dans Police Story (1985)

Selon vous, est-ce que la rétrocession de Hong Kong à la Chine en 1997 a changé le contenu même des films ?

Rien n’a réellement changé depuis 1997, si ce n’est que les comédiens et réalisateurs eux-mêmes ont changé. Avant 1997, quand ils voulaient exprimer quelque chose contre la Chine, ils le faisaient en toute liberté puisque rien n’était diffusé en Chine. Depuis 1997, étant donné que la Chine s’est ouverte et que le public chinois est devenu un marché, ils font plus attention à ce qu’ils disent. Ils le font d’autant plus que leurs films n’ont accès ni au marché américain, ni européen, ni japonais.

D’autre part, le marché local est en train de mourir parce que films sont piratés dès leur sortie. Ceci dit, le gouvernement chinois est lui aussi en train de changer, de s’améliorer et de s’ouvrir. Même l’avis des réalisateurs les plus politisés est en train d’évoluer.

Il y a actuellement une série de grosses coproductions Chine/Hong Kong ou purement hongkongaises, notamment Seven Swords de Tsui Hark. D’autre part, des personnes John Woo et Jet Li reviennent aussi au pays pour tourner des films de chevalerie. Comment voyez-vous ces projets ?

Nous avons en effet de grosses productions qui arrivent, mais elles sont en partie produites par des studios américains… C’est vrai, les Américains accordent de l’importance au marché chinois, mais c’est parce que le marché américain sera toujours là pour couvrir. Si des films comme Seven Swords ou Hero (ndlr : respectivement de Tsui Hark et Zhang Yi Mou) étaient réalisés aux États-Unis, le budget serait de 150 millions de dollars. En Chine, ils les tournent pour 10 millions de dollars, et ils savent qu’ils se rembourseront avec le marché américain. Donc pour eux le marché asiatique, c’est du bonus.

Jackie Chan et Chris Tucker dans Rush Hour 2 (2001)

C’est vrai qu’ils sont financés par des studios américains mais ils sont aussi réalisés par des Chinois. Vous n’avez pas l’impression qu’en faisant ces films épiques la Chine se réapproprie sa propre culture, après avoir été pillée par Hollywood ?

Je ne crois pas que les Américains pensent de cette manière. Tout ce qu’ils savent c’est que leur cinéma est commercialement arrivé à ses limites : ils ont déjà atteint le milliard de dollars de recettes et ne peuvent pas monter plus haut. Ils savent aussi que la Chine, c’est l’avenir, parce qu’il y a 1,3 milliard de personnes rien que là-bas, ce qui représente un énorme marché. Mais ils ne savent pas comment faire des films chinois. Alors que peuvent-ils faire ? Ils peuvent faire comme Miramax et dépenser 30 millions pour faire dix films. Et rien qu’en distribuant un seul de ces films, tout l’argent leur reviendra. Alors qu’avec 30 millions de dollars, ils ne peuvent même pas produire un seul film américain. L’intérêt pour les Américains est d’avoir de bons réalisateurs chinois pour des budgets dérisoires, mais qui en Chine représentent des grosses productions.

Les Américains se constituent aussi de cette façon une bibliothèque de titres qu’ils peuvent revendre à la télévision ou sur le câble, ce qui leur permet de préparer des revenus pour l’avenir. En fait, je pense qu’aux États-Unis, tout est une question de business. Ils ne prennent pas en compte l’aspect politique. Ils voient surtout qu’ils peuvent utiliser des talents locaux à bas prix. De notre côté, nous y gagnons aussi car nous avons des choses à apprendre des Américains. Par exemple, nous apprenons à faire le packaging, les Américains sont très bons pour ça.

Qu’est-ce que vous entendez par packaging ?

Là-bas, même un très mauvais film peut marcher parce qu’il est emballé dans un bon packaging. Nous au contraire, nous ne savons pas lancer nos productions sur le marché américain ou européen, même les plus beaux films. Quand j’ai achevé Rush Hour, par exemple, j’étais très déçu, j’avais des regrets et je suis rentré à Hong Kong en me demandant pourquoi j’avais fait un film aussi nul. En plus, les Américains n’étaient pas sûrs qu’il marcherait et pensaient déjà à le sortir directement en vidéo, marché sur lequel je suis très populaire.

Au moment de la sortie en salles, ils l’avaient emballé dans toute une promotion comme ils savent si bien le faire et le film a rencontré un grand succès. Et il a fallu tourner Rush Hour 2. Cette fois encore, le film a fait un carton alors que je le détestais, mais tout était dans la promotion. Par ailleurs, il y a d’autres avantages à travailler avec les Américains. Nous utilisons leur argent pour lancer de nouveaux talents, de nouveaux réalisateurs ou de nouveaux comédiens. En fait, c’est un échange qui profite des deux côtés.

Jackie Chan et Simon Yuen dans Drunken Master (1978)

Puisque vous voulez prendre un tournant dans votre carrière en accordant plus d’importance à l’aspect dramatique, pourquoi continuez-vous justement à tourner des séquelles comme les Rush Hour que vous semblez détester ?

Parce que l’Amérique, c’est du business. Je vais être honnête : faire un film américain, c’est un moyen de me promouvoir dans le monde et de faire de l’argent. Au contraire quand je vais à Hong Kong, j’ai ma propre équipe, je fais les films que je veux faire et je soutiens de nouveaux talents. Le but est donc différent.

En fait, j’utilise l’argent qui me vient des Etats-Unis pour l’investir dans mes projets à Hong Kong. Sinon, où est-ce que je trouverais cet argent ? En plus, les Américains continuent de se protéger. Un film comme New Police Story est bien meilleur qu’un Rush Hour, mais aux Etats-Unis, vous ne pouvez le sortir qu’en vidéo. En revanche, vous pouvez sortir Rush Hour en salles, aussi mauvais soit ce film. Les Américains ont également de bonnes relations dans le monde entier, donc lorsqu’ils sortent un film directement en vidéo, tout le monde fait la même chose. Et s’ils optent pour une sortie en salles, alors le monde entier fait pareil.

En fait, tout le monde suit ce que font les Américains. Donc vous avez besoin des Américains pour vous faire connaître dans le monde entier. C’est pourquoi j’accepte de faire des Rush Hour 5. Et le jour où il n’y aura plus de public pour les Rush Hour, ils me proposeront des Shanghai Night, Shanghai Dawn, Shanghai Evening, Shanghai Morning… (rires) Les Américains mettent tellement d’argent dans un film qu’ils ne peuvent jamais rien tenter de nouveau.

Mais vous savez, même à Hong Kong ce genre de chose arrive : Il y a eu Project A 1 et 2, mais aussi Armour of God 1 et 2, etc. C’est inévitable ! Quand j’ai fait Police Story, je ne pensais faire qu’un seul film. Mais avec le succès, les producteurs m’ont tout de suite appelé pour en faire un deuxième. Alors j’ai dit que dans celui-là j’allais mourir. Ils m’ont dit : « Non, tu ne peux pas mourir parce qu’on tient un filon ! ». En même temps, j’ai bien vu qu’il y avait vraiment une demande parce que quand j’arrive à la douane aux Etats-Unis et en Europe, on me demande : ‘’Alors Jackie, c’est pour quand Rush Hour 3 ?’’. Je me doute bien qu’en France, c’est plutôt quand je parle de Drunken Master 3 que tout le monde m’encourage ! (rires) D’ailleurs j’y pense, mais c’est très difficile.

Pourquoi n’utilisez-vous pas le pouvoir que vous avez acquis aux États-Unis avec les Rush Hour pour pousser les films de Hong Kong vers le marché américain ?

Il faut que vous compreniez que pour chaque film qui sort aux États-Unis, il y a 30 millions de dollars investis dans la promotion. Mais quand c’est un film de Hong Kong, ils ne sont pas prêts à dépenser plus de 10 ou 20 000 dollars. En plus il faut faire le doublage en anglais. Voilà pourquoi les films arrivent directement en vidéo.

New Police Story (2004) de Benny Chan


Il y a actuellement beaucoup de grosses productions hongkongaises avec des vedettes japonaises, coréennes ou d’autres pays d’Asie. Quelle est l’influence de ce phénomène sur la nature même du film hongkongais?

Effectivement. En fait, à Hong Kong, il y a un gros problème de piratage qui plombe le marché, et actuellement les producteurs et les réalisateurs ont perdu confiance et n’investissent plus dans les nouveaux talents. Moi j’ai commencé dans Drunken Master, mais cela fait presque trente ans et je suis toujours là, alors que je suis à l’âge où je devrais prendre ma retraite. Je ne suis pas le seul, depuis un moment on voit toujours les mêmes visages et le public se dit : ‘’Ca y est, encore Jackie ! Encore Sammo Hung !’ ».

Or lorsque le câble est arrivé, le public a commencé à voir des séries télévisées japonaises. C’étaient des séries qui ne marchaient pas forcément au Japon, mais pour nous elles représentaient une ouverture vers de nouveaux visages. La même chose s’est produite avec les séries coréennes. Et c’est pourquoi on m’a dit un jour de ne plus employer d’actrices hongkongaises mais de prendre des actrices coréennes dans mes films.

En même temps, il faut effectivement qu’on s’unisse tous ensemble, parce que l’Asie est en train de devenir trop « américaine »… Tous les jeunes s’habillent comme des rappeurs, mangent des hamburgers, écoutent Madonna, et il faut absolument que les marchés asiatiques s’unissent. Un seul marché, comme celui de Hong Kong, est trop petit pour faire face à la culture américaine. Il faut penser plus grand, à l’échelle de l’Asie, et il est donc nécessaire que les stars de ces pays travaillent ensemble. C’est ce que j’ai fait dans mon dernier film, The Myth, dans lequel il y a une actrice coréenne (ndlr : Kim Hee Sun, vue dans Bichunmoo) et une actrice indienne (ndlr : Mallika Sherawat), parce que l’Inde aussi est un pays important. Maintenant, est-ce que ce film va marcher ? On verra.

Est-ce pour la promotion de nouveaux talents que le casting de New Police Story est majoritairement jeune ? On constate la même chose avec les récentes productions Jackie Chan, où l’on retrouve notamment Daniel Wu (ndlr : Joe dans New Police Story) ou Stephen Fung (ndlr : Enter the Phoenix, Gen-X cops)…

Oui, et j’avais déjà commencé dans les années 90 à utiliser systématiquement de nouveaux talents. Pour ce qui est de Daniel, je l’ai rencontré à une fête et j’ai décidé de signer avec lui. A présent je le représente en tant qu’agent. J’ai aussi décidé de promouvoir Stephen Fung, qui est un jeune réalisateur, et je lui ai fait confiance en mettant deux millions dans son film Enter the Phoenix (ndlr : Jackie Chan est aussi producteur exécutif sur House of Fury, de Stephen Fung). Je soutiens ces nouveaux talents, nous en avons besoin.

New Police Story (2004) de Benny Chan

Dans cette optique, je travaille justement sur un nouveau projet, celui de construire une école qui s’appellera Martial Arts Movies School. D’autre part, je suis aussi président de l’association des cascadeurs, des réalisateurs, des acteurs, des cameramen… tout ce qui concerne les films d’arts martiaux, je suis sur tous les fronts. Ce qui se passe à Hong Kong en ce moment, c’est qu’il y a souvent trois films qui se tournent en même temps mais personne n’est jamais disponible. Quand j’appelle un chef opérateur pour venir sur un tournage, il me répond qu’il est devenu chauffeur de taxi. Alors j’en appelle un autre, qui me dit qu’il est devenu conducteur de bus… Et du coup on se retrouve toujours avec les mêmes personnes, c’est-à-dire Sammo partout…

Pourquoi est-il si important pour vous qu’il y ait un minimum d’effets spéciaux et qu’un maximum de cascades soit véridique ?

Il est très important de se différencier des autres et en ce qui me concerne j’ai toujours voulu être au-dessus. En plus, c’est la seule chose que je sais faire. Je viens d’une industrie du cinéma, celle de Hong Kong, qui est très pauvre et où on apprend tout sur le tas. Mais si vous me mettez en face d’un ordinateur, je ne sais pas m’en servir. J’ai bien essayé de faire un film avec des effets spéciaux. Je devais tourner devant un écran bleu, et on me disait : « Cours ! Regarde autour de toi !… Et maintenant, il faut que tu aies peur ! ». Mais peur de quoi ? Quand je fais mes cascades, là j’ai peur ! J’ai peur de ce qui se passe et de ce que je dois faire. Les gens comme Spielberg sont des malins mais moi je ne sais pas faire ça.

Il y a d’ailleurs un scénario que je développe depuis quelques années, et que je ne sais pas comment mettre en forme : je voudrais que ce soit un film muet en noir et blanc. Il y a tellement de technologie maintenant au cinéma que j’ai envie de revenir aux origines, avec les dialogues, les intertitres, c’est à dire la base du cinéma.

Est-ce une manière de rendre hommage à Chaplin ou Buster Keaton, ceux qui vous ont influencé ?

On peut voir ça comme ça. Mais je pensais surtout à ce qui se passe actuellement au cinéma : avec l’invasion des effets spéciaux, il n’y a plus rien d’humain. Avant il y avait des films comme West Side Story, La Mélodie du Bonheur, c’étaient des films importants. Et maintenant vous voyez des films que vous oubliez à peine sorti de la salle.

C’est la même chose pour les chansons : une chanson comme celle de Bodyguard (Jackie Chan se met à chanter le refrain I will always love you, de Whitney Houston), c’est une très bonne chanson dont vous vous souvenez même 20 ans après ! Aujourd’hui, les choses vont trop vite, comme sur MTV où la musique est toujours la même (Jackie Chan mime le rap) : dès que vous avez fini de voir le clip, vous ne vous rappelez plus ce que la personne chantait. Mais bon, ce qui est bien c’est que c’est rythmé, donc quand je m’entraîne le matin, ça me convient parfaitement. (Rires)

A propos de cascades véridiques, avez-vous vu Tony Jaa dans Ong Bak et qu’est-ce que vous en pensez ?

Oui, bien sûr, je l’ai vu. Il fait exactement comme Sammo moi faisions dans les années 70 ou 80 : à l’époque, on se portait réellement les coups et nos cascades étaient faites de manière très violente. Mais on a fini par se dire que ce n’était que du cinéma. Est-ce que ça valait vraiment le coup de se frapper et de risquer de se blesser ? L’autre problème est qu’il y a beaucoup d’enfants qui regardent ces films. C’est pour cela que je me suis mis à faire des la comédie dans lesquelles il n’y a pas de sang. Evidemment, quand j’étais jeune, j’adorais voir cette violence. C’est juste que lorsque votre public s’élargit, vous prenez conscience qu’il faut penser aux enfants. Maintenant quand je regarde la télévision et que je vois les combats d’ultimate fighting, je déplore leur façon d’utiliser les arts martiaux pour promouvoir la violence. Les valeurs des arts martiaux sont avant tout le respect et le pouvoir de l’esprit.

New Police Story (2004) de Benny Chan

Dans un film comme New Police Story, il y a de la violence mais elle est mise au service de l’histoire : dans la scène du début avec le gang, j’ai voulu expliquer pourquoi mon personnage était devenu aussi triste. Mon but a toujours été de dévoiler ce qu’il y avait derrière la violence, au lieu de me contenter de la montrer. Ce que je critique c’est quand les personnages sabrent le champagne parce qu’ils ont réussi à tuer tout le monde. Dans mes films, je veux montrer que chaque fois que je prends un coup, j’ai mal, et qu’il ne faut pas faire comme moi. Le cinéma, c’est comme une école, c’est un moyen d’apprentissage.

Dans les années 80-90 à Hong Kong, il y avait beaucoup de films à la John Woo, avec les chorégraphies, de la fantaisie. A présent, le cinéma de Hong Kong revient vers des situations plus réalistes. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Ce qui est important c’est surtout que chaque réalisateur ou acteur ait son style : Chow Yun Fat utilise des armes à feu, Jackie Chan fait des vrais combats d’arts martiaux avec des cascades. Avant, l’ordre d’importance à Hong Kong était le suivant : d’abord les cascades, ensuite l’action, puis la comédie. L’histoire arrivait en bout de course : peu importait la raison pour laquelle les gens se battaient, le but était qu’ils se regardent pour finir par se taper dessus. Et même dans des films contemporains, on voyait des acteurs voler dans tous les sens et donner vingt coups sans que la personne en face ne tombe.

Personnellement je n’aime pas ce cinéma-là, et aujourd’hui, les choses ont changé : c’est le drame qui passe en premier, ensuite l’histoire, puis les acteurs et au final l’action. En ce qui me concerne, quand je réalise ou que je produis, j’essaie de faire en sorte de ne pas surenchérir.

Que pensez-vous du succès de Crazy Kung-fu, de Stephen Chow ?

Je trouve que c’est intéressant. Il utilise la culture chinoise, mais il le fait avec les effets spéciaux, et j’aime bien la manière dont il a réussi à mélanger les deux. Mais aux États-Unis, ils ont du mal à comprendre ce film parce qu’il leur manque des éléments.

Est-ce que vous comptez refaire un jour un film de kung fu à l’ancienne afin de revenir aux origines du genre ?

Il y a effectivement un projet que j’aimerais réaliser. Je voudrais aussi faire une série télévisée pour apprendre aux gens ce que sont les arts martiaux, d’où ils viennent, comment on utilise un bâton, etc. Ce serait comme un documentaire destiné au marché américain et européen, pas au marché chinois. J’ai aussi un projet sur le tourisme dans lequel je ferais le guide pour faire découvrir les villes dans lesquelles j’ai voyagé, les endroits où aller dans Bangkok, Singapour, etc.

Et pourquoi pas un documentaire destiné au marché chinois intitulé « Jackie Chan vous présente Paris » ? (rires) J’ai tellement été en Europe que je pourrais indiquer au public de Pékin ou de Hong Kong où aller manger dans toutes les grandes villes d’Europe, ils me feraient confiance.

A Hong Kong, vous êtes en quelques sortes un monument, et d’ailleurs il y a un Jackie Chan grandeur nature qui nous accueille quand on arrive là-bas. Avez-vous un devoir culturel vis-à-vis de Hong Kong ?
Je le fais déjà moi-même par automatisme, je représente ma culture un peu comme vous représentez la France quand vous allez en Asie. C’est plutôt un devoir de citoyen.

Et comment occupez-vous votre temps à Paris ?

Honnêtement, je dors toute la journée ! (rires) Quand je suis à Hong Kong, je suis tout le temps occupé. Donc lorsque je suis à Paris, comme je n’ai rien à faire le matin, je dors… Je suis sur le point de repartir pour la Corée pour deux jours afin d’enregistrer la chanson de The Myth. Puis j’ai deux jours de promotion à Pékin, et ensuite je reviens dans la foulée à Hong Kong. Deux jours plus tard, je doit encore me rendre en Chine pour une œuvre de charité qui est l’ouverture de L’Ecole de l’Espoir, de Jackie Chan, une école pour les enfants.

New Police Story (2004) de Benny Chan

Avez-vous eu des propositions de réalisateurs français ?
J’attends toujours une proposition de ce réalisateur français très connu qui a travaillé deux fois avec Jet Li…

Luc Besson ?

Oui, Luc Besson ! Pourquoi toujours Jet Li et jamais moi ? J’attends toujours ! (rires)

D’ailleurs, une rumeur parlait d’un projet où vous partageriez la vedette avec Jet Li, qu’est-ce qu’il en est maintenant ?
Oui, nous avons effectivement un projet ensemble et il est toujours en développement. Nous avons déjà étudié trois versions du scénario, et cela fait dix ans qu’on en parle. Ce projet est donc toujours en cours. (Update : Jackie Chan et Jet Li ont finalement tourné en semble en 2008 dans The Forbidden Kingdom)

Quels sont vos prochains projets ?

Je viens de finir un film qui s’appelle The Myth, qui est plutôt une fantaisie. Je viens aussi d’achever le scénario d’un film dans lequel je joue le méchant qui kidnappe quelqu’un. Mais c’est un méchant gentil. (rires) Ensuite je reviendrai aux États-Unis pour tourner Rush Hour 3. Par ailleurs, j’ai eu l’idée d’une histoire qui se passe au Cambodge. J’ai rencontré Zhang Yi Mou il y a un mois et je lui en ai parlé. Quand il a lu l’histoire, il a été impressionné parce que c’est une histoire très choquante. Il a accepté de diriger le film et j’interprèterai donc le rôle principal. Pour lui comme pour moi ce film représente un vrai challenge, et je pense que tout le monde va pleurer en le voyant. Le tournage de ce film devrait se dérouler l’année prochaine.

Rédaction et participation à la table ronde : Elodie Leroy
Article publié le 7 juillet 2005 sur DVDRama.com

New Police Story : la critique

New Police Story marque le retour de Jackie Chan au genre du film d’action casse-cou qui fit sa notoriété, loin des tièdes buddy movies hollywoodiens dont il nous a abreuvés ces dernières années.

Pour ce dernier volet de la célèbre saga des Police Story initiée en 1986, il a fait appel à Benny Chan, dont il avait déjà produit le Gen-X Cops en 1999. La difficulté était de rester fidèle aux précédents opus tout en les renouvelant, une entreprise particulièrement périlleuse dans le contexte actuel de l’industrie cinématographique de Hong Kong où le genre est devenu moribond. Force est pourtant de constater que le pari est réussi : New Police Story en étonnera plus d’un grâce à son ton résolument dramatique et sentimental qui, allié à une pléiade de scènes d’action toutes plus spectaculaires les unes que les autres, distille un curieux parfum de nostalgie.


A Hong Kong, Chan Kwok Wing était considéré comme le plus doué des policiers, jusqu’à ce que son équipe de jeunes inspecteurs soit spectaculairement décimée par un mystérieux gang dont les pièges s’inspirent des jeux vidéo… Parce qu’il n’a pas pu sauver ceux qu’il considéraient comme ses enfants, la vie de Wing s’est effondrée. Il a sombré dans l’alcool, incapable de faire face à son métier et à sa fiancée dont le jeune frère est au nombre des victimes. Lorsque Fung, un jeune homme qui se dit policier, découvre son idole au plus bas, il décide de l’aider à se reconstruire…

Passé le choc que représente la vision d’un Jackie Chan titubant à la sortie d’un bar et vomissant dans le caniveau, on se retrouve plongé dans un véritable drame. L’inspecteur Chan n’est plus qu’une loque hagarde dont la vie s’est arrêtée à la mort tragique de ses collègues, un an plus tôt. New Police Story bifurque alors vers le flash-back afin d’expliquer l’inexplicable. On apprend sans grande surprise que Jackie était bien entendu le meilleur flic de tout Hong Kong, celui sur lequel tout le monde se reposait.


Lorsque surgit de nulle part le mystérieux gang de la Banque d’Asie – une bande de cinq guignols assoiffés de sang aux méthodes très spéciales – il n’a pas douté un instant de pouvoir les neutraliser. Mais l’arrogance dont il a fait preuve en prétendant pouvoir les arrêter en moins de trois heures lui a coûté très cher. Les guignols, menés par un Daniel Wu survolté, sont des petits malins et entraînent l’inspecteur Chan et ses hommes dans un piège mortel qui donne lieu à l’une des meilleures scènes du film.

Une scène intense, éprouvante et émouvante qui annonce la couleur en renouant avec la philosophie qui a fait le succès du cinéma d’action de Hong Kong : mêler intimement l’action et le drame, faire en sorte que l’un se nourrisse de l’autre afin de décupler l’impact final. Tout le contraire des vaines tentatives hollywoodiennes où la scène d’action n’est qu’une pause dans l’intrigue, généralement annoncée par une musique rap de bas étage. Dans New Police Story, la scène du jeu vidéo est construite en un crescendo saisissant où notre héros s’avère même incapable de déployer à leur maximum ses légendaires aptitudes martiales, et s’achève sur l’image surréaliste d’un Jackie Chan impuissant et en larmes.


Que l’on se rassure malgré tout, Jackie n’a rien perdu de sa réjouissante mégalomanie et s’il apparaît comme un ange déchu dans la majeure partie de New Police Story, silhouette accablée et visage défait, il en est bel et bien le cœur, le centre absolu et incontestable. Entouré de la jeune génération incarnée ici par Nicholas Tse et Daniel Wu, deux acteurs qu’il a contribué à imposer au grand public avec Gen-X Cops il y a quelques années, il prouve une fois de plus qu’il reste indispensable, qu’il est et restera toujours le meilleur.

On le comprend de façon flagrante lors de la scène de course-poursuite démente à travers la ville où il se livre à d’impressionnantes cascades du haut d’un toit avant de sauter sur un bus en marche, maladroitement imité de loin par un Nicholas Tse complètement dépassé. Cette scène rappelle la poursuite urbaine de Ong Bak où le procédé comique résidait dans le contraste entre l’agilité surnaturelle de Tony Jaa et la balourdise de son compère tentant de reproduire ses exploits avec ses capacités d’homme ordinaire.


De la même façon, ce n’est pas un hasard si le plus redoutable adversaire de Jackie Chan est un jeune surdoué en arts martiaux et non Yu Rong Guang, combattant connu des aficionados du genre et relégué ici à un rôle mineur exempté de scènes d’action. Outre le fait que l’on salue au passage la volonté louable de l’acteur de propulser à l’écran de jeunes talents tels que Andy On, effectivement stupéfiant de rapidité et de fluidité dans une scène qui renvoie directement à Police Story 1, on sent que Jackie n’est pas encore disposé à passer la main.

Quant à ses protégés susmentionnés, si Daniel Wu, d’ordinaire excellent, a tendance à surjouer quelque peu au début du film avant de se rattraper très dignement vers la fin, Nicholas Tse apporte en revanche à New Police Story une fraîcheur constante et bienvenue. Mignon, espiègle et touchant, il va jusqu’à voler la vedette à son aîné dans certaines scènes.


Le refus de vieillir de Jackie Chan apparaît cependant nettement moins sympathique lorsqu’il place Charlie Yeung, de vingt ans sa cadette, dans le rôle de sa gentille fiancée. Un casting aberrant qui constitue le reproche majeur que l’on peut faire à New Police Story, mais qui peut s’expliquer en partie par la dramatique pénurie d’actrices de plus de trente-cinq ans à Hong Kong, considérées comme « trop vieilles », au contraire des acteurs qui ne sont pas pris au sérieux en deçà de cet âge et accèdent à la reconnaissance vers la quarantaine.

On aurait souhaité à Charlie Yeung, actrice lumineuse et spontanée, un rôle plus valorisant pour son grand retour au cinéma après plusieurs années d’absence. On attend donc avec d’autant plus d’impatience de la retrouver dans Seven Swords de Tsui Hark fin 2005.

New Police Story n’en demeure pas moins un spectacle euphorisant où l’on n’hésite pas à pleurer entre deux incroyables bastons, preuve que le sentimentalisme exacerbé qui a fait le charme du cinéma de Hong Kong de la grande époque n’est pas mort. Il existe une alternative aux polars cyniques et ultra réalistes devenus récemment les seuls films d’action exportables de l’ancienne colonie : Jackie Chan !

Caroline Leroy

 

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