Leslie Cheung et Brigitte Lin sont les vedettes de cette épopée romantique et fantastique réalisée par Ronny Yu. Un classique du cinéma de Hong Kong.
Une histoire d’amour bouleversante, deux visages emblématiques du cinéma de Hong Kong, un pur chef-d’œuvre… The Bride With White Hair est réalisé en 1993 par Ronny Yu et s’inspire d’un roman des années 50, La Légende de la Sorcière aux Cheveux Blancs, de Liang Yu Sheng.
L’intrigue plante son décor dans un contexte historique réel, au moment de la transition entre la dynastie Ming et la dynastie Qing (milieu du 17e siècle), mais nous plonge dans un monde fantastique où la magie et les créatures démoniaques ont toute leur place. Dans cet univers cruel, deux êtres vont s’aimer et se déchirer. Egalement connu sous le titre Jiang Hu, le film The Bride With White Hair, qui fait partie de mes films préférés, est ressorti dans les salles françaises le 25 décembre 2019.
L’ouverture du film est d’une rare poésie. Au sommet d’une falaise, un homme âgé garde jalousement une fleur fabuleuse aux pouvoirs d’immortalité. Quand deux soldats réclament la fleur pour sauver l’Empereur mourant, l’homme refuse. Mais il se souvient de sa bien-aimée… Alors surnommée la Louve, celle-ci l’avait sauvé des loups quand il était enfant. Des années plus tard, elle était devenue le bras armé d’un clan rebelle ennemi du sien.
Les quelques flashbacks qui traversent les premières minutes de bobine mélangent souvenirs du quotidien et souvenirs fantasmés et sont d’une beauté à couper le souffle, de l’entraînement de Zhuo Yi Hang (magnifiques plans en ombre chinoise) à sa rencontre émouvante avec la petite fille.
La transition entre l’enfance et l’âge adulte se déroule dans la pièce où Yi Hang est mis en accusation par son clan pour ses actions anti-conformistes, une situation annonciatrice du destin de ce personnage éternellement jugé coupable.
Dès la première apparition de La Louve à l’âge adulte, une tension érotique s’installe entre celle-ci et Yi Hang, alors même qu’ils sont supposés être ennemis. Cette tension s’exprime à travers une succession de confrontations, jusqu’à la consommation de leur passion sous une cascade dans l’antre de la Louve, là où personne ne peut les atteindre.
La scène d’amour peut paraître naïve (les personnages sont manifestement censés être plus jeunes que les acteurs!), mais elle prend tout son sens dès lors qu’elle est mise en miroir avec la jalousie, l’ambition et la perversion qui consument les autres personnages, dans un camp comme dans l’autre.
Les amants évoluent dans un monde où les sentiments et la notion de choix n’ont pas leur place. Ni même l’individualité, comme en témoigne l’émotion de la Louve lorsque son amant lui offre quelque chose qu’elle n’a jamais eu : un nom.
Leslie Cheung et Brigitte Lin Ching Hsia incarnent ces deux amants avec une grâce qui n’a d’égal que leur immense présence à l’écran. Malgré leur âge (elle avait 39 ans et lui 37), ils ressemblent à deux adolescents en pleine découverte du sentiment amoureux.
Leslie Cheung est tout simplement sublime dans le rôle de ce guerrier tiraillé entre son amour et ses responsabilités écrasantes. Brigitte Lin trouve quant à elle son plus beau rôle : elle est d’une incroyable beauté dans le costume de la Louve et impose une majesté intimidante rien que par la force de son regard. Malgré le sang versé lors des scènes de combat ahurissantes qui ponctuent le film, l’héroïne de The Bride With White Hair est une femme pure, qui vit dans l’absolu et possède une forme d’innocence désarmante.
L’autre couple marquant du film est celui des deux siamois, interprétés par un Francis Ng Chun Yu (The Mission, Full Alert) qui s’emploie dans chaque scène à exprimer la folie de son personnage, et par une Elaine Lui (Dr Wong et les pirates) démente, au rire aussi irritant que son personnage est mauvais.
L’association de Ronny Yu à la réalisation et de Peter Pau à la photographie fait des miracles : chaque plan est porteur d’émotion et de poésie. Le style visuel est travaillé dans le détail et reste cohérent de la première à la dernière image du film.
The Bride With White Hair a été réalisé à la même période que le superbe Green Snake de Tsui Hark. Cette époque est un âge d’or du cinéma fantastique et d’arts martiaux de Hong Kong. Les effets visuels étaient encore artisanaux et les cinéastes les plus visionnaires déployaient des trésors d’imagination pour créer des univers visuels riches et signifiants. Ces deux films ont en commun une esthétique évoquant un opéra et des personnages devenus iconiques.
Visiblement inspiré par ses acteurs, le réalisateur Ronny Yu n’hésite pas à les filmer en très gros plans et utilise les changements de maquillages pour exprimer les bouleversements intérieurs des personnages. Les costumes sont à ce titre somptueux. Il faut dire qu’ils ont été réalisés par la Japonaise Emi Wada, à qui l’on doit les costumes de Ran (Akira Kurosawa) et de Hero (Zhang Yi Mou).
Dirigées par Philip Kwok, les scènes d’action ne cherchent pas le réalisme. Il s’agit une fois encore d’exprimer l’état d’esprit des personnages et les enjeux dramatiques. A ce titre, le fameux plan séquence où Yi Hang, ivre, utilise une brindille pour se battre contre des guerriers ennemis illustre son refus d’assumer le rôle de chef de guerre qui lui est imposé. Le style de combat de Yi Hang évoque davantage une danse, tandis qu’il terrasse ses adversaires avec une « arme » inoffensive.
(Spoiler alert) Et quand la Louve se transforme en sorcière aux cheveux blancs, il faut le voir pour le croire ! Volontairement outrancier, le moment est resté culte. La belle ne fait pas les choses à moitié quand elle décide de découper ses adversaires en morceaux ! Et le pire, c’est que la scène n’en demeure pas moins émouvante. (fin des spoilers)
The Bride With White Hair est l’histoire d’une passion, d’un amour impossible qui entraîne inexorablement les deux amants vers une issue fatale. Véritable tourbillon d’émotions, de violence et de poésie, The Bride With White Hair est un classique emblématique du cinéma de Hong Kong des années 1990 – une époque où les moyens étaient plus réduits que dans les blockbusters chinois actuels, mais où tout semblait encore possible.
Elodie Leroy
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