Après la projection du film Jeunes et Jolie à Cannes, certains journalistes se sont laissé aller à quelques débordements, associant ouvertement sexualité féminine et prostitution. Coup de gueule.

Cet article a été publié le 24 mai 2013 sur Agoravox.fr et a fait polémique. Je me suis pris des insultes et des menaces et je remercie l’équipe d’Agoravox d’avoir modéré en temps réel les messages de leur forum. Voir la publication originale.

Sous des dehors de simple phénomène cannois, Jeune et Jolie a une fois de plus libéré la parole sexiste. Désormais célèbres, les propos tenus par le réalisateur François Ozon sur la prostitution en tant que fantasme féminin dans une interview du Hollywood Reporter ont été relayés par la presse française et ont suscité leur lot de réactions. Aujourd’hui, on parle de polémique. Mais avant ces débordements, un certain nombre de journalistes cinéma avaient déjà franchi les limites de l’acceptable.

Jeune et Jolie, c’est donc l’histoire d’Isabelle, une jeune fille de 17 ans issue de la bourgeoisie, et qui choisit de se prostituer. Pas vraiment de quoi grimper au rideau – du moins pas pour la gent féminine. Mais après tout, quelque soit le sujet d’un film, si racoleur soit-il, la liberté d’expression artistique est une valeur qui nous est chère à tous.

Il suffisait pourtant de lire certaines critiques presse pour comprendre que quelque chose ne tournait déjà pas rond avant les déclarations de M. Ozon. Trop occupés à s’émouvoir devant le physique de l’actrice Marine Vacth, nos critiques de cinéma auraient-ils perdu leur esprit critique ?

Marina Vacth dans Jeune et Jolie

Un film paraît-il dérangeant

Afin de lever toute ambigüité, je précise que je n’ai pas vu le film. Pas encore. Car non, je ne suis pas à Cannes. Le propos de cet article n’est donc pas de juger le film lui-même mais de faire ressortir un certain imaginaire qui se dégage des échos de la presse. [update 2020: j’ai finalement vu le film fin 2013 et je campe sur mes positions]

S’il est un mot que l’on a beaucoup lu ces derniers jours à propos de Jeune et Jolie, c’est bien le terme dérangeant, souvent doublé de ses variantes que sont perturbant ou choquant. C’est ainsi qu’Evène nous parle de « film mystérieux et dérangeant » et de « dérangeante inspiration », Lacroix.fr de « sujet dérangeant » et Rue89 de « parcours initiatique mystérieux et dérangeant ». De son côté, Europe1.fr désigne un film « qui pourrait choquer », cependant que Puretrend.fr n’y va pas avec le dos de la cuiller avec une expression à la mode : « film coup de poing ».

En lisant les premières critiques, je m’attendais donc à des réactions contrastées : déjà un scandale à Cannes ? J’avais tort, du moins jusqu’aux propos navrants de François Ozon face à la journaliste Rhonda Richford de The Hollywood Reporter. Auparavant, on ne peut pas dire que Jeune et Jolie ait su s’entourer d’un parfum de scandale. Nous avons plutôt eu droit à un discours unique, souvent dithyrambique. Le sujet latent – la prostitution « choisie » chez les jeunes – est passé comme une lettre à la poste.

Or, si l’on s’intéresse au seul sujet de la prostitution chez les jeunes et notamment les étudiants, il faut tout de même remettre les choses en place. Depuis quelques années, plusieurs universités tirent la sonnette d’alarme sur le phénomène certes pas nouveau mais croissant de la prostitution estudiantine. Précarité grandissante, coût de la vie, crise du logement, marché de l’emploi sinistré y compris pour les petits jobs d’appoint ou l’intérim, les causes sont nombreuses. Selon l’UNEF, la précarité concernerait plus de 10% des étudiants, ce qui représente 230 000 jeunes.

A l’Université de Rennes, un sondage révélait récemment que sur 1 500 étudiants ayant répondu, 150 avait déjà songé à la prostitution et 30 l’avaient déjà fait (Ouest France, article du 9 avril 2013). A Poitiers, on s’affole également suite au témoignage courageux d’une ancienne étudiante et prostituée. La campagne « Osons en parler » a d’ailleurs été lancée il y a quelques mois par l’Afep, avec le soutien de la Médecine Préventive Universitaire, de l’Université de Poitiers, de la Mairie de Poitiers ou encore du Crous. « Ils seraient 40 000 étudiants à se prostituer pendant le temps de leurs études, dont une écrasante majorité de jeunes femmes », nous apprenait encore récemment le site de France 3 Poitou-Charentes.

Si un cinéaste demeure libre de son propos, les critiques, eux, se doivent de remettre celui-ci en perspective par rapport à son contexte social. Le relier au phénomène de la prostitution estudiantine eut été une piste de réflexion valable, bien que non-exclusive, afin de juger de sa pertinence. La journaliste et professeure Karin Badt le fait très bien dans sa critique publiée sur le Huffington Post version anglaise. Si l’on en croit cet article, l’enseignante ne serait d’ailleurs pas la seule à avoir émis quelques doutes, au sein de la presse étrangère, quant à la « légèreté » avec laquelle la prostitution est envisagée par le réalisateur François Ozon.

Où sont passés ces questionnements dans la presse française ? Si les émotions suscitées par un film ne se discutent pas, le contenu se doit d’être débattu dès lors qu’il s’attaque à un sujet aussi sensible, dès l’instant où il présente comme un choix une activité aussi destructrice. A quelques exceptions près, les échos de Jeune et Jolie démontrent une chose : les enjeux liés aux représentations des femmes et de leur sexualité n’intéressent que mollement les détenteurs de la parole.

Quelques grammes de poésie dans un monde de machos

On comprend aisément pourquoi nos journalistes ont pour beaucoup oublié de questionner le propos du film : ils étaient tous hypnotisés par le physique de Marine Vacth (c’est donc encore la faute d’une femme, en fin de compte !). Soulignons à ce titre que les critiques de Jeune et Jolie portent les signatures d’une écrasante majorité d’hommes.

Face à cette vacuité idéologique, il faut voir les envolées lyriques de nos chers journalistes devant le physique de l’actrice : de vraies midinettes !

On commence doucement avec LeFigaro.fr qui nous parle de « Marine Vacth, nouvelle déesse d’Ozon ». Sur L’Humanité, on se lèche les babines : « Nous sommes en été et le soleil brûle la peau appétissante de son corps idéalement bronzé ». Toujours dans le registre culinaire et parfumé, Libération nous explique que l’on fait fausse route si l’on prend la belle pour un « bonbon » : « Car si la demoiselle de 23 ans est d’une plastique rare, une bouche perlée et un petit corps de lolita timide, son charme esquive toute niaiserie, lorgne vers le vénéneux, le toxique. Boulette d’opium plus que mignardise ».

Dans le journal Le Monde, édition du vendredi 17 mai, on s’y perd entre l’actrice et le rôle qu’elle interprète : « la jeune fille, beauté fascinante, offerte ici et là sur les mâts-affiches d’une Croisette battue par des rafales de pluie ». Offerte à qui ? Peut-on dire que le physique avantageux de Ryan Gosling nous est « offert » sur l’affiche de Only God Forgives ?

De son côté, Slate.fr théorise sur les forces du film, dont la première tiendrait à : « la beauté de Marine Vacth qui joue Isabelle, beauté d’autant plus troublante d’être de manière aussi instable entre adolescente et femme, enfant éperdue et allumeuse, force érotique et être mélancolique ». Oui mais attention, le journaliste tient à lever une ambigüité : il s’agit bien de la beauté, et non du talent, de Marine Vacth. Le véritable talent, lui, appartient à l’artiste génial (et donc forcément homme) qui a su la sublimer : « La jeune actrice est assurément très charmante, mais pour faire percevoir, et faire vivre dans la durée cette complexité, il faut en outre une mise en scène inhabituellement subtile ».

La mise en scène n’est cependant pas du goût de tous. Certains déplorent l’absence de scènes explicites, comme le souligne l’article de LeFigaro.fr consacré aux réactions sur Twitter : « Au-delà du sex-appeal de Marine Vacth ? Certains tweets regrettent un film hermétique et une mise en scène finalement assez chaste. Trop pudique, la caméra Ozon ? ».

Une chose est sûre, à la sortie en 2005 du superbe film Mysterious Skin de Gregg Araki, aucun de ces journalistes ne s’était compromis dans de telles envolées poétiques sur la silhouette élancée de Joseph Gordon-Levitt, qui interprétait alors lui aussi un adolescent se prostituant volontairement. Un film qui pour le coup apportait un véritable éclairage sur ce comportement autodestructeur.

Un film de plus traitant de prostitution « choisie »

Jeune et Jolie parle donc d’une adolescente qui se prostitue volontairement. L’année dernière, nous avons déjà eu le sordide Elles, de Malgorzata Szumowska. L’histoire d’une journaliste (interprétée par Juliette Binoche) qui enquête sur des étudiantes qui se prostituent. Outre ses scènes de sexe trash, le propos en avait laissé plus d’un(e) perplexe : mais que voulait donc nous dire la réalisatrice ? Le film s’attardait sur deux étudiantes-prostituées – l’une avait besoin d’argent, l’autre non – et laissait notamment planer le mystère sur les motivations du personnage d’Anaïs Démoustier, dont on entrevoyait tout juste un dîner de famille en guise de contexte familial.

Pouvoir de la suggestion, paresse d’écriture ou dilution du sujet dans un trip narcissique personnifié par le protagoniste de la journaliste ? Libre à chacun de juger, même si pour notre part, nous pencherons pour la troisième option – les étudiantes étaient littéralement laissées en plan durant une bonne partie du film.

Justement, dans Jeune et Jolie, il s’agit apparemment d’un personnage similaire à celui d’Anaïs Démoustier dans Elles. Sauf que non. Car à l’inverse de Szumowska qui tentait maladroitement de saisir quelque chose de la psychologie des étudiantes-prostituées, Ozon, lui, vend son film d’une manière tout autre : «Qu’est-ce que c’est d’avoir 17 ans et de sentir son corps se transformer ?, s’interroge le cinéaste, oubliant au passage que la puberté s’arrête vers 16 ans chez les filles. Dans tous les films français et autres, j’ai l’impression que l’adolescence est idéalisée, sublimée alors que moi je garde un souvenir douloureux de ma propre adolescence ».

M. Ozon pourrait-il avoir l’extrême gentillesse de m’indiquer les films français récents idéalisant l’adolescence ou la jeunesse ? La dernière fois que j’en ai vu un, il s’agissait de deux étudiantes qui se prostituaient et d’une journaliste qui en était tout émoustillée. « L’idée était de faire un portrait d’une jeune fille d’aujourd’hui ancrée dans une certaine réalité mais ne pas donner toutes les réponses, partager le mystère (d’Isabelle) avec les spectateurs ».

Élémentaire, mon cher Watson ! Jeune et Jolie ne parle pas du tout de prostitution mais de sexualité féminine. A moins que l’idée ne soit d’instrumentaliser un problème de société, celui de la prostitution chez les jeunes, pour livrer une vision très personnelle de l’éveil sexuel chez une jeune fille…

L’interprétation des critiques de cinéma

Et si les jeunes prostituées faisaient cela par plaisir et pas du tout par besoin d’argent ? Ce n’est pas du tout ce que nous disent les études réalisées sur le sujet. Ce n’est pas non plus ce que disait récemment Amélie, cette ancienne étudiante de Poitiers qui a courageusement livré son témoignage dans le cadre de la campagne « Osons en parler » (évidemment, l’expression prend à présent un caractère ironique). Pour les personnes confrontées à cette réalité, le pitch de Jeune et Jolie ne risque-t-il pas de ressembler aux caprices d’un bourgeois en mal d’inspiration.

Festival de Cannes 2013

Mais qu’importent ces témoignages. Pour certains critiques, il ne s’agit surtout pas de porter un regard moralisateur. Ce serait trop « facile ».

Or jusqu’ici, le cinéma français brille surtout pour son incapacité à apporter un quelconque éclairage sur le problème. Sur Slate.fr, on parle de « déjouer les explications prévisibles du comportement de l’héroïne ». Sur Le Monde, on évalue que « Le prix du film tient à la manière dont François Ozon préserve le mystère, et le scandale de son personnage, en prenant garde d’évacuer les unes après les autres toutes les pistes, sociales ou psychologiques, qui pourraient expliquer un tel comportement ».

Sur Rue89, on est parfaitement d’accord et on emploie même des mots savants : « un film qui court-circuite les explications rassurantes (sociologiques comme psychologiques), dynamite les clichés et, « en passant », radiographie l’obsession mercantile de l’époque ».

Il est vrai que la sociologie et la psychologie sont de vraies pertes de temps ! Ici, les résultats du travail d’enquête réalisé par ceux qui se sont vraiment penché sur la question, à savoir la récurrence des cas de violences et d’abus sexuels dans le passé des jeunes gens, sont réduits à l’état de « clichés » tout juste bons à être « dynamités ».

D’autre part, nous sommes ici face à un cas de parfaite intégration de l’une des idées reçues les plus pernicieuses sur la prostitution : les personnes qui vendent leur corps seraient gouvernées par le consumérisme. De quoi balayer d’un revers de main le témoignage de la fameuse Amélie qui disait justement il y a quelques semaines : « La prostitution étudiante, ce n’est pas une petite merdeuse qui s’offre un bel homme de 40 ans, fait son affaire et qui va s’acheter un sac de marque ».

Sur Evène.fr, on valide les idées des confrères : « Pourquoi ce passage à l’acte chez cette jeune fille en aucun cas dans le besoin financier et, a priori, en tout point « normale » ? Ozon se garde d’apporter de réconfortantes réponses à la question et suit à la trace son héroïne ». De réconfortantes réponses ? Et si le réconfort venait précisément de cette absence de réponse ?

Imaginer que ces jeunes filles font cela non pas par besoin ou par aliénation mais par plaisir n’est-il pas une manière, pour le commun des mortels, de s’arranger avec sa conscience ? Le journaliste d’Evène poursuit : «… adolescente qui jouit (en apparence) de son propre mystère, de son secret essentiel et qui, sans même s’en apercevoir, applique à son échelle la loi libérale de l’offre et de la demande ».

Tout va bien, nous sommes dans le domaine du « mystère féminin », insondable et porteur d’un « secret essentiel ». Il est vrai qu’il est tellement plus simple d’expliquer les fléaux de la société par des notions telles que le « mystère féminin ». On pourrait faire de même avec les adolescents qui se scarifient, à classer dans la catégorie des « mystères de l’adolescence »…

L’identité féminine en question

Outre la légèreté avec laquelle est traité le fléau, nous avons eu droit à une belle brochette de considérations mettant sur un même plan la prostitution et la construction de la sexualité voire de l’identité féminine…

Allociné : « La révélation Martine Vacth incarne une jeune fille qui découvre la sexualité », « Le film dresse le portrait sans fard d’une adolescente en émois et en quête de soi. Avec subtilité ».

Rue89 : « Un parcours initiatique mystérieux et dérangeant, celui d’une fille de son temps ».

Métrofrance : « Quand le regard se charge de désir, l’ado se transforme en femme, avec toutes les ambiguïtés liées à ce passage délicat entre les deux ».

L’Humanité : titre de l’article : « Quand la chrysalide devint papillon ». « Avec Jeune et jolie, François Ozon dresse le portrait d’une adolescente d’aujourd’hui à la découverte de sa sexualité ».

Evène : « … l’aventure d’une fille qui, au-delà du bien et du mal, éprouve son pouvoir (sur les hommes, ses parents, ceux de son âge) et accomplit un parcours initiatique qui ne l’entrainera pas nécessairement à mieux se connaître ».

L’Express : « Ici, c’est Isabelle, une jeune fille sans histoire qui, l’année de ses 17 ans, commence à se prostituer. Ne comptez pas sur Ozon pour en faire une victime ou vous livrer clés en main les motivations précises de la conduite de la jeune fille. (…) son film quitte rapidement ce terrain pour s’en tenir au portrait passionnant d’une jeune fille d’aujourd’hui. »

Jeune, jolie et prostituée : le tiercé gagnant des critiques français ?

On distingue plusieurs idées maîtresses dans ces extraits, des idées tristement banales dans le cinéma français comme dans les médias. Des idées jetées en pâture au grand public, au contraire du film qui, pour le moment, ne demeure visible que pour une élite :

Une banalité. Le film met en scène une jeune fille qui se prostitue. Soit. Il s’agit d’un personnage identifié. Pourtant, à lire certaines critiques, il faut y voir un portrait générationnel de l’adolescence d’aujourd’hui (et plus particulièrement des filles, cela va sans dire). C’est le reflet de notre époque, point barre.

Un parcours initiatique. Le terme aurait-il été employé si le personnage avait été masculin ? Nous n’en sommes pas convaincus. Rue89 et Evène font plus que banaliser la prostitution : celle-ci devient pour la jeune fille un moyen de se définir, de devenir adulte.

Un épanouissement au féminin ? C’est ce que suggère L’Humanité avec sa chrysalide qui devient papillon ( !). On s’interroge sur ce que veut dire Métrofrance à propos des « ambigüités » liées au passage entre l’ado et la femme : la prostitution procéderait-elle d’une mécanique intrinsèquement connectée au développement de l’identité féminine ? Sans rire, Evène y voit presque une marque de « pouvoir » de la femme sur l’homme.

Vous l’aurez deviné, au vu des premières critiques françaises, il n’y avait pas vraiment de quoi parler de polémique puisqu’une grande majorité de critiques abondait dans le sens de M. Ozon. Jeune et Jolie, un classique instantané sur l’adolescence ? Tempérons tout de même un peu les choses : quelques rebelles émettaient déjà des doutes, tels que le journaliste de RFI, qui déplorait justement le manque de sérieux dans le traitement d’un sujet aussi tragique : « Ozon ose à mettre des images jolies sur une réalité crue », « L’histoire est grave, le ton reste léger ».

Il fallait se tourner vers des sites féministes, tels que Tess Magazine, pour trouver une approche idéologique : « Ozon essentialise une problématique qui mériterait un regard neuf ». Ici, on a bien compris les dangers d’un tel sujet dépourvu de véritable traitement, et de son amalgame avec la sexualité des filles.

Un parfum de scandale… enfin !

Ce que la presse française n’avait pas prévu, c’est que le cinéaste déraperait dans la presse étrangère. François Ozon voulait-il absolument son scandale cannois ? Nul ne le sait. Mais c’est ce que suggèrent ces propos balancés à la figure de la journaliste du Hollywood reporter : « Je pense que les femmes peuvent vraiment se reconnaître dans cette jeune fille parce que se prostituer est un fantasme chez beaucoup de femmes. Cela ne veut pas dire qu’elles le feront, mais le fait est qu’être payée pour coucher est quelque chose d’évident dans la sexualité féminine ». Incrédule, la journaliste lui tend une perche pour se rattraper.

Mais Ozon persiste : « C’est la réalité. Il suffit de parler avec plusieurs femmes, ou avec des psys, tout le monde sait ça. Bon, peut-être pas les Américains ». Et si vous doutiez encore, Mesdames, de l’impensable confusion du réalisateur entre vos éventuels fantasmes de dominées et la situation de soumission perverse induite par la prostitution, M. Ozon vous explique que c’est exactement pareil : « Je pense que vouloir être un objet sexuel, être désiré, être utilisé, est quelque chose de très courant. C’est le genre de passivité que les femmes recherchent ».

Si les critiques cannois, dont le planning est très certainement chargé, sont déjà passés à autre chose, un vent de révolte commence à se faire ressentir sur le Web français. Outre les tweets incendiaires de Laurence Rossignol, porte-parole du PS, et des Fémen, la parole se diversifie un peu dans la presse française.

Une journaliste de Pure Ciné réagit même assez vivement : « Il aurait pu s’agir d’une forme de maladresse, mais c’est finalement quand Ozon explique son propos qu’il prouve combien il a les idées courtes ». Ozon dont elle déplore un peu plus loin le « manque de subtilité ».

Ces réactions contredisent légèrement les propos des critiques précédents, qui vantaient justement l’extrême « subtilité » de Jeune et Jolie… Il faudra découvrir le film pour déterminer s’il est plus fin que son auteur.

Et la liberté sexuelle des femmes ?

On entend d’ici les voix s’élever, accusant les personnes qui réagissent de « puritaines ». Car si les pouvoirs publics parlent aujourd’hui d’abolir la prostitution – ce qui au passage représente un assouplissement par rapport à la politique de prohibition en vigueur précédemment –, les mythes sur la prostitution comme signe de liberté sexuelle ont la vie dure.

Mais qui sont les puritains, dans cette histoire ?

S’il est une chose qui dérange visiblement, dans le monde d’aujourd’hui, c’est bel et bien l’idée d’une sexualité féminine débridée, libérée de toute contrainte. Tant que l’adolescente, la jeune fille ou la femme qui enchaîne les amants est estampillée « prostituée », tout va bien. Certains se découvrent alors des velléités de défenseurs du droit des femmes à disposer de leur corps.

Au contraire, si une femme enchaîne les amants pour son seul plaisir, sans transaction d’aucune nature, on prend peur. Nous le savons dès le lycée, où les premières à tenter l’expérience sont des « putes » aux yeux de leurs camarades. Nous l’avons tous déjà entendu dans le monde du travail, où telle collègue, secrétaire, graphiste, commerciale ou directrice, affichant un tableau de chasse un peu trop fourni devient elle aussi une « pute », au contraire de son homologue masculin qui est un « tombeur ».

C’est peut-être ça, le puritanisme. Cette incapacité à envisager la liberté sexuelle des femmes, cette déformation du concept même de liberté.

Aussi, le jour où le cinéma français sera capable de dresser le portrait d’une jeune fille qui prend goût au sexe pour le sexe, nous pourrons nous détendre face à la complaisance des critiques sur ce Jeune et Jolie.

Elodie Leroy

Article publié le 24 mai 2013 sur le site Agoravox.fr.

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