Film culte et film maudit, Les Cendres du Temps ressort dans un montage définitif qui n’a rien d’un caprice puisqu’il conserve toute la substance de la version connue en France tout en bénéficiant de l’ajout de quelques scènes. Les effets de la restauration s’avèrent inégaux mais l’expérience se justifie pleinement, ne serait-ce que pour redécouvrir (ou découvrir) cette œuvre poétique, déchirante et sensuelle signée Wong Kar-Wai et portée par un casting absolument mythique.

Réalisé en 1994, Les Cendres du Temps a mis 14 ans à arriver dans les salles françaises. Il a fallu qu’une version « Redux » passe par le Festival de Cannes en 2008 pour que les spectateurs de l’hexagone découvrent le film le plus mystérieux, le plus controversé et surtout le plus maudit de Wong Kar-Wai : Les Cendres du Temps.

Maudit car le tournage du film s’étala sur près de deux ans, interrompu qu’il fut pendant plus d’un an, et que la sortie du métrage dans les salles de l’ex-colonie britannique fut un véritable four commercial. Pourtant, avec les années, Les Cendres du Temps devint l’objet d’un véritable culte à travers le monde chez les fans de l’auteur – un sublime artbook regroupant des images du film avait d’ailleurs été conçu à leur intention. Conscient qu’il existait plusieurs versions de son film, Wong Kar-Wai a décidé d’en fournir un montage définitif, Les Cendres du Temps Redux, sorti en France le 10 septembre 2008.

Si l’histoire trouve ses inspirations dans la littérature, en l’occurrence le roman La Légende du Héros Chasseur d’Aigles de Louis Cha, il paraît évident, dès les premières séquences, que Wong Kar-Wai délivre une œuvre totalement personnelle. Le cinéaste devait adapter un roman fleuve? Il décide de supprimer une bonne partie de l’histoire et d’extrapoler sur la jeunesse des personnages, une esquive qui lui permet de rester fidèle aux thématiques qui lui sont chères. Ainsi, le désert et les montagnes des Cendres du Temps s’opposent certes à l’esthétique urbaine et frénétique d’un Chungking Express ou d’un Fallen Angels, mais le résultat est finalement le même.

Quel que soit le décor, les films de Wong Kar-Wai sont toujours hantés par des âmes en peine, tenaillées par la solitude, torturées par leur mémoire, secouées par les affres de l’amour et du désir. Tous passeront ou se croiseront dans la demeure vétuste et désolée de Ouyang Feng (Leslie Cheung) et dévoileront leurs blessures secrètes, leur folie passée ou présente. Ils goûteront peut-être un peu de son vin, un breuvage conçu dans le but d’effacer les souvenirs de celui qui le consomme. S’agit-il d’un antidote au désespoir ou au contraire d’un mauvais tour?

Quoiqu’il en soit, les seuls êtres susceptibles d’atteindre une forme de bonheur sont les personnes simples, à l’image de Hong Qi (Jacky Cheung), sabreur rustre mais généreux qui se bat les pieds nus.

A son époque (en 1994), Les Cendres du Temps fut accusé à juste titre de détourner le genre du wu xia pian et c’est peut-être justement ce qui fait son originalité et sa valeur. Le milieu du Jiang Hu n’est clairement pas au cœur des préoccupations du cinéaste et les arts martiaux deviennent tour à tour le moyen de souligner le fatalisme de l’œuvre (la mort inévitable du duelliste aveugle campé par Tony Leung Chiu-Wai) ou de faire exploser la tension sexuelle latente comme dans ce passage magnifique dans l’auberge où Murong Yang (Brigitte Lin Ching-Hsia) dégaine brutalement son épée, blessant au passage cruellement l’homme qu’elle aime (Tony Leung Ka-Fai).

Les chorégraphies à l’épée signées Sammo Hung donnent lieu à quelques expériences visuelles aussi étranges que fulgurantes, Wong Kar-Wai usant et abusant du légendaire procédé d’accéléré-ralenti mis au point avec l’aide de Christopher Doyle. Ce dernier fait à ce titre des merveilles en offrant des jeux d’ombre et de lumière somptueux et des tons délicieusement saturés.

Plus que jamais inspiré par les femmes et les hommes évoluant devant sa caméra, Wong Kar-Wai filme les visages et les corps avec une sensualité débordante, les comédiens jouant à ce titre volontiers sur les attitudes corporelles pour exprimer les tourments intérieurs.

Mentionnons que le métrage convoque pour l’occasion un casting de rêve puisque toutes les stars les plus glamours de l’époque se retrouvent ici miraculeusement regroupées. Aux côtés du regretté Leslie Cheung, tout simplement brillant, évoluent ainsi la divine Brigitte Lin Ching-Hsia mais aussi Tony Leung Chiu-Wai, Maggie Cheung, Tony Leung Ka-Fai, Jackie Cheung, Carina Lau ou encore Charlie Young. De quoi déclencher de sacrées crises de nostalgie chez les amateurs de cinéma de Hong Kong des années 90 ! Parmi les scènes ajoutées au montage vu sur la VHS française, on retrouve avec plaisir le fameux combat au cours duquel le personnage schizophrénique de Lin Ching-Hsia affronte son propre reflet – les images apparaissaient sur le artbook. En outre, le destin futur de chacun des personnages nous est systématiquement dévoilé, ce qui a notamment pour conséquence de prolonger la fin du métrage.

Comme il fallait s’y attendre, Wong Kar-Wai a dû faire face aux conditions déplorables de conservation des copies propres à l’industrie hongkongaise et résultat s’en ressent quelque peu. Les Cendres du Temps Redux bénéficie donc d’une restauration complète mais il n’y a pas de miracle : la définition s’avère correcte mais en-deçà des standards actuels. Le film a aussi bénéficié d’un réétalonnage complet et l’esthétique se voit légèrement modifiée. Certains tons excessivement jaunes laissent à ce titre un tantinet dubitatif. En revanche, on appréciera la propreté de la copie qui ne trahit que peu de défauts de pellicule notoires.

Là où cette nouvelle version apporte une valeur ajoutée incontestable, c’est sur le plan du son. Celui-ci a été entièrement revu et nous est offert en DTS. Et si les fans les plus hardcore pourront ressentir une pointe de déception devant le changement d’un ou deux morceaux de la partition de Frankie Chan et Roel A. Garcia (la scène de caresse nocturne, la tirade finale de Ouyang Feng), la puissance sonore vient superbement servir l’intensité émotionnelle du métrage et provoque immanquablement quelques frissons. Les inconditionnels de Wong Kar-Wai ne pourront donc manquer l’expérience sous aucun prétexte.

Elodie Leroy

Article publié sur Filmsactu.com le 30 juillet 2008

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.