J’ai écrit ce billet de protestation sur Agoravox en 2013, après avoir regardé avec consternation la 38e Cérémonie des Césars 2013… L’article a attiré plus de 17000 visiteurs !
Le cinéma français a-t-il perdu ses valeurs ? C’est la question que l’on pouvait légitimement se poser vendredi soir dernier devant la 38e Cérémonie des César.
Absence de passion, manque de respects envers les aînés, mépris des techniciens, blagues déplacées voire misogynes, langage vulgaire… Tel était le programme que nous avaient réservé Antoine De Caunes, Jamel Debbouze et une grande partie de ceux qui ont fait un détour par la scène du Théâtre du Châtelet. Le propos de ce billet n’est pas de commenter le palmarès, ce que d’autres ont déjà fait abondamment dans la presse, mais de livrer et d’expliquer le sentiment de consternation teinté de tristesse que nous a laissé cette soirée.
Paillettes et private jokes
Ce jour-là, donc, j’ai assisté à l’un des spectacles les plus affligeants qu’il m’ait été donné de voir ces dernières années à la télévision : la 38e Cérémonie des César !
Cérémonie ? Moi, j’ai dit Cérémonie, bizarre, comme c’est étrange. Pourquoi aurais-je dit « Cérémonie », bizarre… Où était le glamour, où était le frisson, où était la passion ; et surtout, où était l’hommage au cinéma ?
Ce que j’ai vu à l’écran ressemblait davantage à une soirée ratée entre potes dans un bistrot de luxe, où chacun irait de sa petite blague, quitte à verser dans le private joke, histoire de maintenir l’assemblée à peu près éveillée. A ceci près que la fête mobiliserait un budget conséquent et une gigantesque équipe de techniciens, afin que mesdames et messieurs les « stars » se sentent bien chez eux.
Certes, les Cérémonies des César ont toujours été barbantes. Rien à voir avec les Oscars, dont les soirées sont envahies d’images de films et rythmées par des morceaux de musique et autres festivités. Toutefois, chaque année en France, on se réjouit de voir un réalisateur, une actrice ou un acteur que l’on admire recevoir son prix (cette année, le prix décerné à l’acteur belge Matthias Schoenaerts, que j’ai adoré dans De Rouille et d’Os et Bullhead, m’a fait chaud au cœur). Ne serait-ce que pour ces quelques secondes de discours ému, d’hommage aux partenaires ou collaborateurs, le spectateur a l’impression de ne pas avoir complètement perdu son temps en regardant l’émission en direct, et non en replay sur YouTube.
Mais cette année-là, malgré quelques discours touchants, la Cérémonie des César dans son ensemble m’a plongée dans un état d’exaspération, voire de révolte. Au point que, croyez-le ou non, moi qui m’énerve de l’intervention de plus en plus intrusive de Twitter à la télévision (oui, je sais, il faudra s’y faire), je me suis prise à tweeter plusieurs fois dans la soirée sur le tag #Cesar2013 !
Tenues de soirée et bras ballants
Est-ce le manque de classe des intervenants qui m’a le plus exaspérée ?
Pour commencer, au risque de verser dans le « people », la première chose qui frappe est l’incapacité des Français à apporter du rêve sur un tapis rouge. Non, ce ne sont pas des considérations accessoires : une fois par an, aux César, nos stars sont censées nous donner cela – du glamour, du rêve. Faire rêver fait partie de la fonction des stars dans la société. C’est ce qui justifie, aux yeux du public, le luxe dans lequel elles évoluent.
Aux Etats-Unis, il faut les voir, les actrices, déambuler sur les tapis rouge avec un maintien parfait, des silhouettes vertigineuses soulignées par des robes aux tissus somptueux, aux couleurs flamboyantes (aux Golden Globes 2013, le rouge était la it-color). On se souvient encore de la superbe robe blanche d’Anne Hathaway aux Oscar 2009, ou de la robe mauve de Natalie Portman aux Oscars 2011 (enceinte et toujours aussi gracieuse). Magique.
En France, rien de tout cela. Les actrices portent des robes qui ne leur vont pas, se tiennent de manière disgracieuse, les bras ballants et les épaules tombantes, quand elles ne trébuchent pas en route. Bref, elles ne font pas rêver, à quelques exceptions près (Virginie Ledoyen, Céline Salette et quelques autres avaient fait un effort. Bérénice Béjo, quant à elle, avait opté pour un étrange style fée des bois). La tenue de Charlotte Gainsbourg cette année, par exemple, n’était pas aussi laide à l’écran que sur les photos, mais est-ce vraiment une tenue de soirée ? D’ailleurs, quelle est cette nouvelle mode, chez les actrices françaises, consistant depuis quelques années à ne pas mettre de soutien-gorge ?
Il y avait tout de même un petit mieux par rapport à la cérémonie de l’année dernière, aux César 2012, où l’on avait véritablement touché le fond en matière de mode – le traumatisme causé par l’horrible complet de Sylvie Testud, décolleté jusqu’au nombril, avec rien en-dessous (pas même un soutif), m’a laissé de profondes blessures.
De leur côté, les acteurs ne brillent pas non plus par leur prestance et semblent avoir définitivement adopté le port de l’uniforme façon men in black. L’austérité est de rigueur. Un petit détour par les cérémonies sud-coréennes prouve pourtant qu’un homme peut s’extirper de la malédiction du tout-en-noir et rester élégant, tel Joo Won aux KBS Drama Awards 2012 ou même Choi Minho tout de bleu vêtu aux SBS Drama Awards 2012. Même en noir, il est possible d’apporter un peu de fantaisie en jouant sur les textures comme Kim Soo Hyun aux MBC Drama Awards 2012. Plus proche de nous, les Anglais donnaient aussi le ton aux récents Bafta Awards, avec des tenues élégantes et plus osées que les Français. Même Marion Cotillard s’habille mieux à l’étranger.
Pour ces César 2013, je me demande bien ce que les magazines people auront bien pu inventer pour vanter les mérites du tapis rouge… S’ils veulent être invités l’année prochaine, il y a intérêt à faire preuve d’imagination (bon courage, les gars !).
Ces considérations vestimentaires peuvent paraître futiles mais elles expriment le premier manquement de nos stars à leur fonction dans la société. Sans surprise, ces tenues allaient de pair avec un manque d’élégance dans les comportements, cependant que le luxe était vanté à plus d’une reprise (la mention des costumes Lanvin, du Fouquet’s, etc.).
La palme de la vulgarité
Reste à déterminer qui, d’Antoine De Caunes en maître de cérémonie, de Jamel Debbouze en président ou de tous les remettants, remporte la palme de la vulgarité.
Attardons-nous un instant sur Antoine De Caunes. Maître de Cérémonie entre 1996 et 1999 puis en 2008, 2009 et de 2011 à 2013, l’ancien animateur de Nulle Part Ailleurs, aujourd’hui acteur, scénariste et réalisateur, peut se targuer de détenir le record du nombre de présentations des César. Jusqu’à présent, j’ai toujours apprécié son humour cinglant et pince-sans-rire, même s’il s’égare parfois un peu trop, et avec plus ou moins de bonheur, dans le registre politique. Mais cette année, je ne sais pas ce qui lui a pris mais M. De Caunes s’est littéralement vautré avec des blagues toutes moins drôles les unes que les autres. L’animateur s’est même montré à plus d’une reprise déplaisant, notamment lorsqu’il s’est livré à un speech misogyne à l’adresse d’Aurélie Filippetti, Ministre de la Culture.
Réserver une petite vanne à cette dernière sur ses écrits érotiques passés aurait été une chose, mais choisir cet argument comme angle unique de son discours, après avoir lancé au cours de la soirée quelques piques sur la parité, en est une autre. On est à la limite de l’insulte.
M. De Caunes, si l’exercice ne vous inspire plus, il est peut-être temps de passer le flambeau.
Mais là n’est pas le pire, loin de là. Ce n’est qu’une goutte d’eau venue faire déborder un vase déjà bien rempli par la vulgarité et le manque de respect qui caractérisait cette soirée.
Parlons du niveau de langue employé. Faut-il rappeler le devoir de chacun, dans une cérémonie de ce genre, de s’exprimer dans un langage correct ? Pour rappel, il s’agit d’une cérémonie – oui, une cérémonie – au cours de laquelle sont remis les prix décernés par l’Académie des Arts et Techniques du Cinéma, soit une institution à caractère culturel. Aussi nos acteurs, réalisateurs et techniciens sont-ils censés incarner, le temps d’une soirée, une discipline comprise dans ce que l’on appelle la Culture – si pompeux ce mot soit-il devenu de nos jours, apparemment.
On a souvent reproché aux César d’être trop guindés. Mais il y a peut-être un malentendu sur ce reproche : c’était la froideur du public qui était pointée du doigt. Cette année, le relâchement était de mise sur la scène… devant un public toujours aussi glacial.
D’autre part, si un écart de langage peut produire son effet et s’avérer très drôle quand tout le monde s’exprime dans un langage juste ce qu’il faut châtié, j’ai du mal à accepter d’entendre tous les remettants s’exprimer comme s’ils étaient au bar ou dans le hall de leur immeuble. Il y a des moments pour chaque chose, pour être familier, pour être cool mais aussi pour être digne et avoir de la tenue. Est-ce trop demander que d’attendre un peu de classe de la part des intervenants à la Cérémonie des César ?
« Nan, j’déconne ! Ça va, calmez-vous, les mecs, on rigole ! », disait Jamel Debbouze, Président de la Cérémonie (mais qui a eu l’idée saugrenue de le mettre à cette place ? Sa carrière cinématographique justifie-t-elle un tel honneur ?), juste avant de remettre le César du Meilleur Film à Amour de Michael Haneke. Ne parlons même pas de Lambert Wilson qui, non content de nous avoir réservé un sketche pitoyable au moment de remettre le César du Meilleur Espoir Féminin, mâchait du chewing-gum pendant la soirée.
Qu’est-ce qui explique un tel relâchement de la part des intervenants ? Une explication possible : ces « stars » sont blasées par ce genre cérémonie. Et peu importe si d’autres, toujours dans l’ombre, rêvent de monter un jour sur scène pour se voir remettre une récompense.
Ainsi, il n’est pas outrancier de mettre un mot sur l’attitude de nos « stars » : le mépris.
Le mépris des confrères et des techniciens était d’ailleurs manifeste chez un certains nombre d’invités.
L’année dernière, nous avons eu droit à une Mathilde Seigner venue remettre, complètement bourrée, le prix du meilleur second rôle masculin à Michel Blanc (étrangement absent de la soirée cette année), humiliant au passage ce dernier en soulignant qu’elle aurait préféré que Joey Starr soit récompensé. L’ancienneté et le talent de M. Blanc ne méritait-il pas un peu de respect ? Il paraît que Joey Starr l’avait fait boire de l’alcool avant la soirée, confiait-il lui-même récemment à La Nouvelle République…
En tout cas, il avait dû être sacrément déçu de ne pas avoir eu le prix ! C’est sans doute ce qui explique qu’il ait gâché cette année son moment de gloire à Valérie Benguigui, lauréate du César du meilleur second rôle féminin pour Le Prénom. Mais alors qu’il était du devoir du maître de cérémonie de recadrer l’acteur afin qu’il mette en sourdine sa rustrerie, Antoine De Caunes a préféré enfoncer le clou en priant gentiment l’actrice, pourtant visiblement émue, d’activer et de foutre le camp.
La cérémonie où l’on se moque des techniciens
De leur côté, les Kaïra ont mis beaucoup de zèle à ruiner le moment de gloire des ingénieurs du son du film Cloclo. Alors que les trois lauréats, visiblement peu habitués à s’exprimer en public (tout le monde n’est pas coaché pour l’exercice), faisaient timidement leur discours, les Kaïra ont entrepris de divertir la salle en faisant de la trottinette sur la scène – avec la complicité d’Antoine De Caunes, bien entendu. C’est aussi ça, la classe française. Du coup, légèrement distraite, je n’ai rien écouté au discours, je l’avoue. Naaan, j’déconne !
En vérité, je n’ai jamais vu un tel mépris des autres que pendant cette soirée des César 2013. Je n’ai jamais vu des « stars » afficher aussi ostensiblement leur dédain pour les personnes qu’ils considèrent comme ayant un statut inférieur ou une célébrité moindre.
Comme nous le savons, le milieu du cinéma est extrêmement hiérarchisé. Il n’y a qu’à mettre les pieds sur un plateau de tournage pour s’en rendre compte. Malgré tout, l’esprit d’équipe, nécessaire à une production aussi laborieuse que celle d’un film, y est tout aussi palpable. Ainsi, en général, lors de cérémonies officielles, le cinéma est à l’honneur pour ses qualités artistiques mais aussi pour l’investissement des équipes, que certains primés n’hésitent pas à souligner. Mais pas aux César 2013, la cérémonie où l’on se moque des ingénieurs du son. De même, habituellement, les acteurs nouveaux dans la « famille du cinéma » manifestent leur respect vis-à-vis des plus anciens.
Certains sont même gênés d’être primés face à des vétérans. Ces valeurs se sont visiblement perdues en route, si l’on en croit l’attitude de M. Starr, dont la filmographie certes intéressante mais pas encore aussi fournie que celle de Mme Benguigi, qui a plus d’ancienneté dans le métier, ne justifie pas qu’il affiche un tel manque de respect. Si j’étais lui, je lui ferais des excuses.
Mais naaaan, j’déconne !
Quelques minutes plus tard, Kevin Costner, tiré du long sommeil dans lequel il était plongé pendant tout le reste de la soirée, recevait son César d’Honneur. Sincèrement touché, il rendait hommage au passage à tous les chauffeurs et techniciens qui se lèvent tôt pour assurer le confort des autres.
Seul temps fort de la soirée, le discours émouvant de Kevin Costner était précédé d’un superbe montage d’images de ses films réalisé en coulisse par des petites mains dont nous ne saurons pas les noms (pensez-vous !) mais qui ont su saisir sa présence, son regard, à travers des morceaux choisis de Danse avec les Loups, Sens Unique, Robin des Bois ou encore Les Incorruptibles.
En somme, Kevin Costner était la seule véritable star de la soirée, la seule qui nous a apporté un peu de rêve, d’émotion et des valeurs – celles du cinéma. En bref, tout ce que nos « stars » ont piétiné tout au long de cette pathétique soirée, avec la bénédiction d’Antoine De Caunes, de Jamel Debbouze et de toute l’Académie. Une soirée, au cours de laquelle, le chapitre Costner mis à part, nous n’avons pas vu beaucoup d’images de cinéma.
Les César, une farce ? Naaan, j’déconne !
Comme disait Lino Ventura dans Les Tontons Flingueurs : les cons ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnait.
Elodie Leroy
A noter que cet article a également été publié lundi 25/02 sur Agoravox sous le titre « César 2013 : la honte du cinéma français » (j’avais peur que le mot « déconne » ne passe pas), puis sur Stellarsisters.com.