Critique de la série Les revenants de Fabrice Gobert. Une lueur d’espoir pour la télévision française ?
La France produit parfois de bonnes séries télévisées ! Diffusée entre le 26 novembre et le 17 décembre 2012 sur Canal Plus, la saison 1 de Les Revenants faisait naître un espoir inédit dans le cœur des sériephiles avertis, celui que notre beau pays posséderait encore des talents capables de faire des étincelles dans ce format télévisuel. Et qu’il leur serait possible d’obtenir les moyens de le faire.
Série chorale et thriller fantastique en huit épisodes, Les Revenants séduit aussi bien par la qualité de son scénario et de son interprétation que par son atmosphère particulièrement soignée, tant sur le plan visuel que sonore. Cerise sur le gâteau, Les Revenants tire intelligemment parti des leçons narratives enseignées par les feuilletons américains tout en conservant une identité bien française. Que demande le peuple ? Seule ombre au tableau, le manque de réactivité des décideurs face au succès de cette saison 1…
Avec son budget d’un peu plus d’un million d’euros par épisode (11 millions d’euros au total), Les Revenants a attiré environ 1,4 million de téléspectateurs par épisode, soit 23,3 % des abonnés Canal Plus, et a donc réussi le pari de séduire un public français peu habitué à voir ses productions locales explorer le genre du fantastique. Je ne vais pas y aller par quatre chemins : la communication était certes réussie, avec son jeu d’affiches mystérieuses en miroir, mais le succès s’explique avant tout par une qualité d’écriture et de réalisation assez inédite dans le paysage des productions françaises.
Le réalisateur n’est autre que Fabrice Gobert, à qui l’on doit le long-métrage Simon Werner a disparu, thriller lycéen qui témoignait déjà d’une belle sensibilité artistique et d’une capacité à distiller un mystère à travers l’exploration d’un réseau de personnages intrigants. Le film m’avait toutefois laissé un léger arrière-goût de frustration tant l’univers dépeint aurait mérité une exploration encore plus approfondie. Et je m’étais alors fait la réflexion que Fabrice Gobert eut gagné à explorer le format de la série télévisée. C’est chose faite avec Les Revenants et le résultat surpasse toutes mes attentes.
Mais à l’origine de la série, il y a un film intitulé Les Revenants et réalisé en 2004 par Robin Campillo, avec Géraldine Pailhas et Jonathan Zaccaï dans les rôles principaux ainsi que, dans un rôle secondaire, Frédéric Pierrot que l’on retrouvera également dans la série. Variation sous hypnose du thème de L’Invasion des profanateurs de sépulture, Les Revenants est un film étrange, mystérieux, porté par une ambiance à la fois envoûtante et oppressante. L’histoire partait d’un postulat simple : et si les morts revenaient à la vie et tentaient de se réinsérer dans le monde des vivants ?
Dans la série Les Revenants, Fabrice Gobert change légèrement la donne : les morts ne sortent plus de leur tombe comme dans le film de Campillo (une référence à l’univers de George Romero) mais ils réapparaissent de manière inexpliquée, arrivant d’on ne sait où. D’autre part, si le film de Campillo s’agrémentait d’un propos sociologique sur la difficulté d’intégrer une population réfugiée et culturellement inadaptée (dans la vie active, les morts ne parvenaient pas à suivre le rythme de travail des vivants), la série de Gobert s’intéresse davantage au versant psychologique de l’histoire. Un traitement dans la pure tradition du genre du fantastique, en somme.
La Mort, sa vie, son œuvre
Dès le générique, le ton est donné : esthétiquement superbe et bercé par un morceau de Mogwaï, dont la partition hantera subtilement toute la série, les images font alterner l’ampleur des décors naturels avec les intérieurs sombres et renfermés pour faire apparaître des personnages évanescents – tantôt des vivants, tantôt des morts. Fabrice Gobert installe d’emblée un climat envoûtant et anxiogène pour tisser ensuite, au fil des épisodes, un univers complexe à travers une narration divisée en huit chapitres dont chacun, ou presque, portera le nom d’un personnage.
Tout se passe dans une petite ville imaginaire, moderne mais isolée du monde par son ancrage dans les montagnes. Ici, la jeune Camille (Yara Pilartz), morte quelques années auparavant dans un accident de car avec ses camarades de classe, revient à la vie pour retrouver ses parents mais aussi sa sœur jumelle Léna (Jenna Thiam), devenue jeune adulte alors qu’elles se sont quittées adolescentes. De l’autre côté de la rue, Simon (Pierre Perrier) tente de revenir auprès d’Adèle (Clothilde Hesmé), la femme qu’il était sur le point d’épouser, sauf que celle-ci vit en couple avec un autre homme, et qui plus est un policier qui la surveille de près.
Il faut aussi compter avec la résurrection d’un enfant mutique assassiné au cours d’un cambriolage dans les années 70, de l’épouse d’un retraité disparue des décennies auparavant, d’une médium aux méthodes peu orthodoxes et même d’un tueur en série ! De quoi bouleverser le quotidien tranquille de ce village au premier abord sans histoires, de cette communauté dont les convictions vont vaciller.
Les Revenants tire sa force d’un traitement du sujet aussi bien à l’échelle sociale qu’individuelle, les deux se révélant inextricablement liés puisque les bouleversements intérieurs des habitants vont peu à peu faire basculer la communauté dans une psychose diffuse mais de plus en plus incontrôlable.
Par leur seule présence, les revenants font ressurgir les secrets de famille, les relations dysfonctionnelles, la honte des vivants face aux effets du deuil. Autant de traumatismes qui restaient jusqu’alors profondément enfouis dans les consciences, tout comme les mystères du lac bordant le village demeuraient engloutis jusqu’à ce que des phénomènes paranormaux ne fassent leur apparition.
Le décor, splendide, tient à ce titre une place importante dans le récit : cerné par les montagnes et les forêts à perte de vue, le village est aussi séparé de la civilisation par un immense barrage qui agit comme un personnage du film à part entière, un pare-feu contre les terreurs sourdes de l’inconscient.
Si les morts n’ont aucun souvenir de leur résurrection, ni même de leur passage de vie à trépas, ils manifestent pour certains une urgence de vivre qui se heurtera à l’incompréhension, au refus voire à la colère des vivants. C’est le cas de la jeune Camille qui semble vivre sa puberté à l’accéléré et fonce tête baissée dans sa quête existentielle, à la recherche de ses premiers émois avec le petit ami de sa sœur. C’est aussi le cas de Simon qui tente désespérément de reprendre sa relation avec Adèle là où leur histoire s’était arrêtée.
Au contraire du film de Robin Campillo où les revenants fonctionnaient au ralenti, ici ce sont les vivants qui se montrent les plus apathiques. Au point d’avoir, pour certains, oublié le sens de leur existence, qu’ils soient dans la révolte comme Léna, ou qu’ils se terrent dans leur appartement et dans leurs phobies comme Julie. Certains se sont depuis longtemps enfermés dans le passé, comme Adèle qui semble vivre dans une autre réalité faite de dénégation ; d’autres, tels que l’inquiétant Thomas (Samir Guesmi), ne demandent qu’à rencontrer l’étincelle qui les fera sombrer dans une paranoïa toxique.
À première vue, on se dit que Fabrice Gobert a étudié attentivement la narration de feuilletons américains récents tels que Lost ou Walking Dead, en lui associant toutefois une atmosphère plus proche d’un Twin Peaks. Cependant, il serait réducteur de ne voir Les Revenants que par rapport à l’ombre tutélaire des séries d’outre-Atlantique. Les Revenants demeure avant tout une histoire à la française, de par son décor – les paysages splendides de la région d’Annecy sont formidablement exploités – mais aussi de par l’écriture et la caractérisation de ses personnages.
Dans une série américaine, les protagonistes auraient suivi un cheminement implacable les menant inéluctablement vers une forme de résolution cathartique. Cette mécanique, qui s’appuie sur l’idée que les personnages doivent véhiculer des valeurs morales, fait le succès des productions américaines depuis des décennies, à la télévision comme au cinéma. Mais elle distingue aussi ces dernières des productions européennes, et notamment françaises quand elles sont réussies, qui instillent à leurs personnages une psychologie plus réaliste, échappant à la nécessité d’une résolution idéologique.
Ainsi, Les Revenants reste purement français dans son traitement des personnages. Ces derniers évoluent sensiblement tout au long de la série mais demeurent jusqu’au bout empreints d’une complexité et d’une instabilité qui leur confèrent un certain mystère. Nul ne saura véritablement ce qui se passe dans la tête de Camille, ni l’origine des pulsions meurtrières de Serge (Guillaume Gouix).
Comme dans Simon Werner a disparu, Fabrice Gobert accorde toute son attention à la qualité d’interprétation. Cela paraît logique mais cet aspect crucial est pourtant négligé dans la plupart des productions françaises s’inscrivant dans les genres du fantastique ou de l’horreur.
Si Les Revenants bénéficie de la présence de confirmés tels que Frédéric Pierrot, touchant dans le rôle du père en quête de rédemption, Anne Consigny en mère fragile et aveugle, ou même Céline Salette en agoraphobe aux prises avec les démons de son passé, la série révèle aussi deux actrices à fort potentiel dans les rôles des jumelles : Yara Pilartz, tour à tour glaçante et attendrissante en Camille, et Jenna Thiam, flamboyante dans le rôle de sa sœur jumelle Léna, se révèlent toutes deux à la hauteur du traitement complexe de leur personnage respectif.
La saison 1 des Revenants s’achève sur un épisode impressionnant marqué par une rupture de ton : plus proche d’un film de zombies, le final délaisse l’angoisse diffuse des épisodes précédents pour jouer la carte d’un climat horrifique plus franc. En outre, les dernières minutes n’apportent pas toutes les réponses aux questions distillées au fil des épisodes. Rien d’étonnant à cela puisqu’une saison 2 est déjà en route. Cette fin donne donc pleinement satisfaction dans la mesure où elle conclut l’essentiel des enjeux dramatiques tout en soulevant d’autres questions afin de mettre l’eau à la bouche.
Malheureusement, il faudra s’armer de patience car nous ne sommes pas près d’en voir la couleur. Et c’est là où le bât blesse cruellement.
Une saison 2 fin 2014 ? Mieux vaut tard que jamais…
Non, vous ne rêvez pas, la saison 2 n’arrivera qu’en automne 2014.
Récapitulons. La saison 1 des Revenants a été diffusée entre novembre et décembre 2012. Compte tenu du succès de la série, nous étions en droit d’attendre une suite dès l’année suivante. Or il aura fallu attendre le mois d’avril 2013 pour que l’équipe annonce fièrement, lors d’une conférence de presse organisée par le Festival Séries Mania, que le tournage de la saison 2 était prévu pour débuter en… février 2014 ! Et l’équipe de préciser que l’écriture avait déjà commencé depuis plusieurs semaines. Il était temps ! Apparemment, il leur faudra près d’un an pour finaliser une saison 2 (plaît-il ?) qui, selon la pratique française ayant cours aujourd’hui, ne fera à tous les coups que 6 à 8 épisodes. Nous nageons dans l’absurdité la plus totale.
Aux États-Unis, en Angleterre ou même en Corée du Sud, une telle aberration ne se serait jamais produite car, dans ces pays, la production des séries télévisées obéit à un modèle industrialisé. Aux USA, où l’écriture, la préparation, le tournage, la postproduction et la diffusion respectent une organisation permettant de réagir très vite aux scores d’audience, une rallonge de quelques épisodes pour la saison 1 des Revenants aurait même très certainement été possible.
En effet, des scénaristes anglo-saxons n’auraient pas attendu la fin de la diffusion de la saison 1 pour plancher sur la suite. Ils n’auraient pas attendu trois ou quatre mois de plus comme l’équipe des Revenants. Non, ils auraient réagi immédiatement afin de ne pas laisser retomber l’effet de la saison 1.
Ainsi, dans un monde idéal, dans un univers alternatif fantasmé par ces amateurs de séries qui aimeraient voir bien voir les Français s’exprimer davantage à travers ce format, la société de production Haut et Court aurait été à même de fournir la saison 2 dès la rentrée de septembre 2013. Mais nous parlons ici d’un monde fantasmé des séries françaises, qui fonctionnerait selon le modèle des Américains, des Anglais ou bien des Coréens, mais qui parlerait de la France et des Français. Or nous sommes en France, le pays où la télévision prend un minimum de risques, pour un minimum de créativité et de souplesse. Le pays où les chaînes de télé n’ont toujours pas compris le sens du terme compétitivité dès lors qu’il se décline à l’international.
Car c’est bien de cela dont il faut se préoccuper aujourd’hui avec le développement massif d’offres numériques : la compétitivité. Il se trouve que la série Les Revenants connaît un excellent accueil dans les pays où elle a été achetée, notamment en Angleterre, où elle a été diffusée à partir du 9 juin 2013. En se révélant incapable de fournir la suite dès l’année suivante, le système français montre son inefficacité, sa lourdeur. Et lorsque la saison 2 arrivera sur le marché international, l’effet de la saison 1 sera en grande partie retombé (sans compter que les jeunes acteurs auront grandi). « Création originale Canal Plus » ou non.
Précisons au passage que si les États-Unis et l’Angleterre ont une expérience des séries télévisées de plusieurs décennies, le modèle sud-coréen est encore relativement jeune. Et il nous coiffe déjà au poteau sur tous les tableaux, notamment en termes de rythme de production et de réactivité (sans parler de la qualité des scénarios et de la réalisation, mais Les Revenants constitue sur ce plan un mauvais exemple puisqu’il s’agit d’une des seules séries françaises à pouvoir se mesurer aux productions étrangères).
Partis comme nous sommes, avec un système sclérosé qui met des années à réagir à un succès pourtant immédiat comme celui des Revenants (1,4 million de téléspectateurs dès le premier épisode), les séries françaises ne pourront jamais s’imposer sur le marché international. Elles sont en train de rater le coche du numérique. Même Canal Plus, qui a au moins le mérite de fournir des « créations originales » (ce qui est la moindre des choses) ne parviendra jamais à suivre le rythme de ses concurrents étrangers.
Si le modèle français n’est pas revu en profondeur, il y a fort à parier que Les Revenants demeure encore pour un bon moment l’exception qui confirme la règle dans le paysage déprimant des séries TV françaises…
Elodie Leroy