Brad Pitt abat des zombies dans cette grosse production spectaculaire, mais qui risque de faire tomber de haut les fans du genre.
L’affiche apocalyptique était attirante, le titre intrigant, et la présence de Brad Pitt au générique n’était pas sans attiser une certaine curiosité, l’acteur se révélant peu coutumier des blockbusters à gros budget. L’ouverture de World War Z captive elle aussi immédiatement, avec ses scènes de violence animale sur le son atmosphérique de The Second Law : Isolated System de Muse, musique que l’on entendra abondamment dans le film. Pourtant, malgré d’indéniables qualités dans le registre spectaculaire, World War Z laisse franchement sceptique.
Vendu comme un film d’horreur alors qu’il évite soigneusement d’horrifier qui que ce soit, World War Z souffre des mêmes faiblesses que la grande majorité des blockbusters hollywoodiens actuels, à savoir un scénario défaillant et une caractérisation des personnages trop simpliste pour provoquer un semblant d’identification. Cela dit, comme nous le verrons, si l’on aborde World War Z autrement que comme un film de cinéma mais davantage comme un jeu vidéo sur grand écran, il est possible d’en retirer un certain plaisir grâce à des scènes de grand spectacle somme toute sympathiques. Heureusement car avec ses 200 millions de dollars de budget et son histoire qui ne raconte strictement rien, c’est bien la moindre des choses.
Synopsis: Ancien membre de l’ONU, Gerry Lane (Brad Pitt) vit à Philadelphie avec sa femme et ses deux filles. Un jour qu’ils prennent tranquillement leur voiture, ils se retrouvent coincés dans les embouteillages, avant de réaliser que la ville est en proie à un mouvement de panique incontrôlable. Obligés de fuir en abandonnant le navire, ils découvrent l’origine de cette hystérie collective : un virus se répand à une vitesse fulgurante aux quatre coins du monde, transformant en quelques secondes les habitants en féroces zombies…
World War Z est signé Marc Forster, réalisateur inégal à qui l’on doit aussi bien le thriller fantastique Stay et l’émouvant Les Cerfs-volants de Kaboul, que le divertissant mais inconsistant Quantum of Solace. Après une mise en place à la Roland Emmerich (Le Jour d’Après, 2012), c’est-à-dire reposant sur la situation familiale du héros avant que la première catastrophe ne survienne dans un décor qui évoque Independance Day (de Roland Emmerich), World War Z s’aventure sur un terrain inattendu : le film de zombies.
En réalité, le film gardera constamment le cul entre deux chaises, ou plutôt entre les genres de l’horreur et de la catastrophe, ce qui aurait très bien pu constituer une force. En effet, là où le film de zombies traditionnel se limite souvent à une zone géographique précise (une région, une ville, un centre commercial), et sous-entend, par le biais d’informations distillées à la télévision et à la radio, que le reste du monde est contaminé, Marc Forster a voulu faire un film de zombies baladant son personnage aux quatre coins du monde. L’idée est bonne, voire novatrice. Seulement voilà, World War Z est un film de zombies à 200 millions de dollars. Ce qui veut dire qu’il cible un large public et ne peut donc guère se permettre d’être subversif, au risque de devenir déficitaire.
Nous nous retrouvons donc face à un film de zombies des familles, dans lequel nous ne verrons ni acte de morsure, ni victime dépecée, ni intestins arrachés. Pas même une malheureuse goutte de sang.
En revanche, nous aurons droit à un héros gentil comme tout, bien lisse comme il faut. Rien à voir avec Cillian Murphy dans 28 jours plus tard (Danny Boyle, 2002), film britannique auquel World War Z fait souvent référence, et dans lequel les personnages finissaient par dévoiler leur sauvagerie, leur côté bestial. Brad Pitt ne tombera pas aussi bas, lui. Un parti pris qui risque fort de rebuter les aficionados du genre, qui demeurent en général des amateurs de films d’horreur sanglants voire trash.
D’autre part, il y a encore quelques années (nul besoin de remonter à la grande époque de Romero), la transformation en zombie était beaucoup plus organique et savait prendre son temps : on se souvient de L’Armée des morts (Zack Snyder, 2004) avec sa femme enceinte qui nous a réservé quelques moments cauchemardesques en ménageant toutefois son suspense. Aujourd’hui, cette transformation se doit de survenir à l’accéléré : le spectateur est présumé impatient chronique. Le résultat est une chute vertigineuse du trouillomètre.
World War Z ne ressemble donc pas vraiment à un film de zombies mais plutôt à un pur film catastrophe. Soit. Admettons que nous sommes venus voir un film catastrophe, un genre dont les héros sont effectivement plus lisses. Brad Pitt incarne donc un père de famille bien sous tous rapports, à ceci près qu’il a arrêté de travailler et qu’il lui arrive même de ranger le fourbi laissé par ses gamines après le petit-déjeuner. Une situation absurde à laquelle le film apportera une réponse cathartique destinée à tous les antiféministes qui vivraient dans l’angoisse crispante d’une potentielle inversion des rôles dans les années à venir.
Papa-gâteau va donc reprendre du poil de la bête puisque, suite à l’expansion à l’accéléré d’une dangereuse pandémie ayant entraîné la suppression de la carte de pays entiers (Taïwan, la Corée, etc.), il va se retrouver sollicité parce qu’il est « le seul à pouvoir faire quelque chose ». Pour quelle raison ? L’explication restera fumeuse, si ce n’est qu’il a travaillé pour l’ONU et a exercé « dans des conditions extrêmes ».
Nous revoilà donc avec un héros à la fois guy-next-door et surhomme. Papa-gâteau est peut-être le seul homme surentraîné de tout le territoire américain à disposer d’un cerveau, après tout. Bref, pendant que Papa-gâteau remplira sa mission, sa famille bénéficiera d’une protection militaire. Comprendre que sa femme devra rester bien gentiment à l’attendre en s’occupant des gamines, et ce, dans une pièce fermée, un talkie-walkie capricieux à la main, et dans la terreur de se faire jeter dehors si son mari ne donne pas signe de vie pendant quelques heures – moi qui disais quelques mois plus tôt que Man of Steel que celui-ci revenait aux fondamentaux du machisme au cinéma, je n’avais pas encore vu World War Z ! Le héros possède-t-il d’autres caractéristiques dignes d’intérêt ? Apparemment, non. L’écriture du personnage s’arrête là.
Sur ce plan, World War Z s’avère tristement symptomatique des blockbusters hollywoodiens actuels, où les personnages tendent à disparaître, noyés dans les effets digitaux, perdus sous les décombres des destructions massives qui constituent le must de produits plus que jamais gouvernés par la course au profit immédiat.
Cette pauvreté dans la caractérisation du personnage de Gerry Lane ne s’avère même pas compensée par des situations susceptibles de révéler des traits de caractère significatifs, comme dans Je suis une légende (Francis Lawrence), film post-apocalyptique avec des vampires qui se comportent comme des zombies, et où le personnage de Will Smith gagnait en relief à travers des échanges émouvants avec son chien, ou encore avec une simple tirade autour d’un morceau de Bob Marley. À l’époque de Je suis une légende, Hollywood savait encore raconter des histoires, avec des êtres humains à l’intérieur.
Au vu de la vacuité de la caractérisation des personnages (ou plutôt de l’unique personnage) de World War Z, on pourrait presque s’attendre à ce que le film soit finalement un court-métrage – alors qu’il fera au final près de 2 heures.
World War Z bénéficie tout de même d’un atout de taille. Et cet atout, c’est Brad Pitt. Doté d’une richesse de jeu suffisante pour inventer des nuances là où il n’y en a strictement aucune, Brad Pitt parvient à donner l’illusion que le personnage n’est pas aussi unidimensionnel que sur le papier. C’est là tout l’intérêt de mettre un véritable acteur dans le rôle principal d’un tel film – si seulement les créateurs de Man of Steel avaient eu la même idée.
Ainsi, grâce à Brad Pitt mais aussi, par la suite, à une certaine Daniella Kertesz qui incarne sa partenaire de fortune rencontrée à Jérusalem, World War Z parvient de justesse à éviter l’ennui qui menace de pointer le bout de son nez pendant les scènes de jeu.
Malgré tout, Brad Pitt ou non, le vide intersidéral du scénario vient régulièrement taquiner le spectateur tout au long de la projection. Sachant que les personnages demeurent purement fonctionnels, on était en droit d’attendre une enquête scientifique et/ou politique digne de ce nom (comme dans les dramas coréens The End of the World et The Virus). Après tout, le film prétend démontrer l’incapacité des pays occidentaux à gérer une situation de crise. Mais même sur ce plan, l’écriture se réduit au strict minimum.
Soulignons à ce titre que dans la Corée du Sud de World War Z, dont nous ne verrons que l’ombre d’un hangar en guise de paysage introductif, tous les habitants sans exception ont été décimés et transformés en zombies – le choc fut grand quand je pris connaissance de la nouvelle (« Même BigBang? Même les Running Men? », me dis-je).
Autre piste de scénario qu’il eût été possible de développer, la société et/ou la nature humaine. En effet, il s’agit tout simplement du véritable sujet de la majorité des histoires de zombies, de La Nuit des morts-vivants (1968) qui anticipait les mutations de la société (il s’agissait tout de même de l’un des premiers films à donner le premier rôle à un acteur noir), à Walking Dead qui ausculte les contradictions idéologiques de l’Amérique d’aujourd’hui, en passant par 28 jours plus tard et sa suite qui exploraient des facettes inavouables de la nature humaine.
Même dans L’Armée des morts, pur film de divertissement, la tension dramatique jouait sur les relations entre les personnages, sachant qu’il s’inspirait du Zombie (1978) de Romero, lui-même un pamphlet politique contre la société de consommation. Ni la société ni la nature humaine n’ont intéressé Marc Forster et ses amis.
S’il ne nous offre aucune intrigue digne de ce nom, World War Z nous propose en revanche la même chose que tous les produits concurrents actuels : de la casse. Car aujourd’hui, à Hollywood, il faut absolument casser un maximum de matériel, de voitures et d’immeubles pour faire un film. Hollywood a abusé des explosions façon Joel Silver dans les années 1990 ; à présent, Hollywood veut tout casser comme Michael Bay.
D’ailleurs, dans le dossier de presse de World War Z, on se vante même du nombre de voitures détruites pour les besoins de la production (« On a cassé 150 voitures! Yeah, on est les plus forts! »). Ou comment commettre une maladresse de communication insensée en temps de crise, à l’heure où beaucoup de foyers doivent renoncer à leur véhicule pour ne pas sombrer…
En réalité, le seul moyen de regarder World War Z sans être absolument dégoûté par cet argent dilapidé sans véritable histoire à raconter, c’est de le regarder comme on suivrait les cinématiques d’un jeu vidéo. Car c’est exactement ce qu’est World War Z qui a d’ailleurs dans la foulée fait l’objet d’une adaptation sur mobile par le biais de Paramount Digital Entertainment. Le long-métrage y prêtait largement puisqu’il est construit comme un jeu vidéo, avec différents paliers à franchir pour recueillir un indice et accéder au niveau suivant.
Ainsi, Brad Pitt va rencontrer David Morse en Corée du Sud (ou dans un hangar californien quelconque) qui lui dira d’aller voir un gars à Jérusalem (en réalité, à Malte). Une scène de panique plus loin, Brad Pitt rencontrera le bonhomme en question, qui lui indiquera l’adresse d’un autre gars qu’il faudra trouver dans un autre pays afin de recueillir une nouvelle information et d’accéder à l’épreuve suivante. Heureusement, chaque fois que Brad Pitt se crashera en avion quelque part, il aura le bon goût de le faire pile à côté de l’endroit où il est supposé se rendre. Sacré Brad Pitt.
Si l’on prend World War Z de cette manière, à savoir dans un esprit purement ludique et avec un zeste de second degré, l’expérience s’avère somme toute divertissante car l’exécution demeure plutôt efficace, surtout dans la deuxième heure. Le film réserve même quelques passages méritant le détour. Citons la scène de panique dans les embouteillages dans les rues de Philadelphie au début du film, qui ménage habilement son suspense quant à la nature de la menace (à la projection de presse, les journalistes ont été sommés de ne pas en révéler la nature).
Mais c’est surtout la scène de panique dantesque voyant des milliers de zombies lâchés dans les rues de Jérusalem qui retiendra l’attention : entre plans aériens spectaculaires et course-poursuite sauvage dans le labyrinthe tortueux des ruelles et des bâtiments, la scène exploite très bien son décor et provoque une vraie montée d’adrénaline.
Enfin, au rang des meilleures scènes du film, citons le final qui fait directement référence à l’univers des jeux Resident Evil. Si la tension ne monte pas bien haut (n’oublions pas qu’il s‘agit d’un film de zombies pour enfants), on découvre tous les zombies placés sur le parcours des personnages avec un certain plaisir, tant l’équipe semble s’être amusée à insuffler un caractère propre à chacun de leurs monstres – avec la complicité des figurants dont l’un, posté dans un couloir, évoque dès qu’il s’anime un petit chef vociférant sur ses subordonnés. Dommage que la scène soit polluée par un placement de produit éhonté de Pepsi – on ne changera pas Hollywood.
En dehors de ces quelques éclats, il ne faut pas trop attendre de ce World War Z : quand Hollywood tente de se réapproprier un genre dont les plus grands chefs d’œuvre ont été bricolés par des passionnés, on obtient un film balourd, lisse et sans saveur. World War Z est aussi un blockbuster typique de son époque, et dont la vacuité ne fait que confirmer l’importance, voire la nécessité, de se tourner vers d’autres sources géographiques de divertissement. Heureusement, il y a une vie en dehors de Hollywood.
Elodie Leroy