Un film indépendant chinois encensé par la presse française, ce qui m’a laissée perplexe malgré la belle performance de l’actrice Gwei Lun Mei.

Quand je suis allée voir Black Coal, il y avait bien longtemps que je ne m’étais pas rendue en salles pour découvrir un film chinois ! Quand j’ai vu, un peu par hasard, la bande-annonce du film, avec son atmosphère lourde, son mystère impénétrable et surtout le regard sombre de l’actrice taïwanaise Gwei Lun Mei, j’ai senti comme une urgence de me rendre en salles. Une urgence que l’affiche du film, construite autour d’un face-à-face flamboyant entre un homme et une femme, n’a fait que stimuler.

J’ai mis du temps à pondre une critique de ce film, tant il était difficile de décrire le mélange paradoxal d’admiration et de scepticisme, voire de déception, qui m’est resté de cette projection. Black Coal est-il vraiment le chef d’œuvre acclamé par la presse ? J’y vois plutôt le symptôme d’un cinéma indépendant chinois qui a des tas de choses à dire mais qui est en train de s’enfermer dans un ascétisme émotionnel risquant, à la longue, de le déconnecter de la réalité qu’il prétend dépeindre.


Black Coal débute en 1999, par une scène dérangeante sur le quai d’une gare. Un homme et une femme se séparent après avoir signé leur divorce. Réticent à la laisser partir, l’homme violente un peu son ex-compagne avant de la laisser filer par le train.

La suite nous plonge dans la froideur labyrinthique et mécanique d’une usine, où des ouvriers trouvent un bras coupé dans du charbon. Les autres morceaux du cadavre seront retrouvés à divers endroits de la ville. L’inspecteur Zhang Zi Li (Liao Fan), vu au début du film avec son ex-femme, est chargé de l’affaire. Mais il se blesse au cours de l’enquête et se voit contraint de quitter la police.

Cinq ans plus tard, d’autres meurtres sont commis dans la région. Reconverti en agent de sécurité, Zhang décide de reprendre l’enquête de manière indépendante. Les meurtres le conduisent à une seule et même femme, Wu Zhi Zhen (Gwei Lun Mei), qui n’est autre que l’épouse de l’homme dont le corps avait été retrouvé dépecé cinq ans auparavant.


Commençons par les points positifs, car il y en a bel et bien.

Effectivement, en regardant Black Coal, j’ai ressenti une sincère admiration. J’ai admiré le réalisateur Diao Yinan, qui a travaillé huit ans sur le scénario avant d’accoucher de ce thriller implacable, filmé avec une précision millimétrique dans des conditions que l’on devine difficiles.

L’originalité de Black Coal est d’adapter un genre typiquement occidental, à savoir le film noir, pour le confronter à l’univers aride du cinéma d’auteur chinois. Un flic dépressif, une femme fatale, une enquête dans un univers hostile : Diao Yinan reprend donc les codes du genre pour se les approprier et les fondre dans un contexte spécifique, celui de la Mandchourie des années 2000, alors en pleine mutation économique, coincée entre sa bureaucratie forcenée et la montée d’un capitalisme et d’une industrialisation déshumanisés.

A partir de cette sombre affaire de meurtres, Diao Yinan porte un regard très dur sur la société chinoise, avec ses flics corrompus, ses femmes actives mais maltraitées, ses agressions violentes au coin de la rue. Sur ce plan, Black Coal part d’une intention courageuse dans un pays où il est encore délicat de critiquer ouvertement la société.

L’autre raison d’admirer le travail de Diao Yinan est la mise en images de cet univers. A l’esthétique glaçante et glaciale – nous sommes en plein hiver – s’ajoute une violence sèche filmée la plupart du temps en plan séquence, conférant à Black Coal un pouvoir de fascination immédiat. Même s’il se refuse à rechercher le « beau », le cinéaste sait précisément où il place sa caméra, où il veut nous amener à poser les yeux. Black Coal recèle ainsi quelques beaux moments de cinéma, tels que la scène tétanisante d’interpellation dans un salon de coiffure ainsi qu’une course-poursuite envoûtante en patins à glace.

Les sons s’avèrent aussi travaillés à l’extrême, notamment lors d’une étreinte à l’intérieur d’un manège, où les chocs, le bruit ambiant et la sensation d’enfermement participent à l’érotisme de la scène. Au passage, on constate un relâchement de la censure chinoise, qui avait pour habitude de couper toutes les scènes mettant en scène des relations sexuelles hors mariage.


Pourtant, malgré ses qualités formelles indiscutables et sa démarche pavée de bonnes intentions, Black Coal se regarde à distance comme un bel objet mais ne suscite aucune émotion. La faute à une écriture inconsistante marquée par des personnages sans profondeur. Diao sait indéniablement manier une caméra mais pour ce qui est de ses qualités de conteur, le verdict est moins évident.

Pour une histoire censée reposer sur une tension psychologique, Black Coal se distingue surtout par son absence totale de suspense. Passée la plongée dans l’atmosphère hivernale de cette ville morte, l’encéphalogramme reste désespérément plat, à l’exception des quelques scènes listées ci-dessus. La tension est comparable à ces rouges vifs que vous pouvez voir sur les photos de promotion, des couleurs qui surgissent effectivement dans certaines scènes, mais au milieu de la grisaille terne et sans saveur qui caractérise le reste du film.

Quant à l’enquête policière à proprement parler, elle repose sur des bases riches de sens mais s’avère vite confuse, décousue et finalement sans envergure.

Certains argueront que cette intrigue n’est qu’un prétexte et que le cinéaste s’intéresse surtout à la relation trouble qui se noue entre le détective Zhang et la mystérieuse Wu Zhi Zhen. Sauf que pour faire naître le trouble, encore faut-il des personnages charismatiques. Sur ce plan, Black Coal est loin de réaliser un carton plein.

Pourtant, l’actrice Gwei Lun Mei impressionne. Moi qui l’avais connue dans le rôle de la jeune fille en fleurs mélancolique et attachante de Secret (Jay Chou), je redécouvre ici une jeune femme certes un peu trop amaigrie (le rôle s’y prête largement) mais qui n’en demeure pas moins sensuelle et dotée d’une forte présence dans la peau de ce personnage sombre et inapte à se lier avec qui que ce soit.

Le problème est qu’elle ne trouve guère de partenaire digne de ce nom pour lui donner la réplique. En repensant aux personnages un mois après le visionnage, seul le visage de Gwei Lun Mei me vient à l’esprit. Celui de Liao Fan a presque disparu de ma mémoire. C’est dire si sa prestation et son personnage sont marquants !

Sur la portée sociale du métrage, seul véritable intérêt de cette histoire, je retiendrai de Black Coal une ambiance, celle de cette cité désolée et sans vie, mais rien de révolutionnaire. On est loin du talent d’un Jia Zhang Ke (A Touch of Sin) ou d’un Lou Ye (Une Jeunesse Chinoise).

Le propos s’avère même un peu nébuleux, notamment sur la question des rapports hommes-femmes, violents, sans amour et pour ainsi dire foncièrement déprimants. Au travail comme au domicile, les rares femmes du film – toutes anecdotiques, à l’exception de Wu Zhi Zhen – ne connaissent ni la sécurité, ni même la dignité, les violences à leur encontre constituant l’un des moteurs du scénario. Or le point de vue du cinéaste sur le sujet reste flou : veut-il dénoncer ces violences ou y voit-il au contraire une sorte de légitimité, ou du moins une logique fataliste dans ce contexte économique difficile ? On sent l’intention de montrer des victimes susceptibles de se transformer en bourreau mais il n’y a tout simplement pas assez de femmes dans le film – ou même assez de personnages – pour que l’on puisse en tirer une véritable idée à défendre.

Précisons cependant, à la décharge de Diao Yinan, que la censure s’est attaquée à Black Coal et a réalisé quelques coupes. Ces dernières ne sont peut-être pas innocentes dans le caractère confus du propos et du point de vue, et c’est pourquoi nous laisserons le bénéfice du doute au cinéaste.

Mais la censure n’explique pas tout. Car au bout du compte, la confrontation entre le film noir et la chronique sociale à la chinoise, qui était séduisante sur le papier, ne s’avère guère convaincante. Et l’on en vient vite à se demander si les deux genres ne sont pas tout simplement incompatibles, du moins si l’on considère la manière dont les chefs de file du cinéma indépendant chinois font du cinéma aujourd’hui.

D’ailleurs, à force de tourner le dos aux contraintes commerciales des productions mainstream, ce cinéma indépendant chinois n’est-il pas en train de s’imposer d’autres contraintes, comme le refus de toute note d’imagination au profit d’un ultra-réalisme se refusant à toute expression émotionnelle ?


L’intention de dépeindre un monde qui écrase l’individu est louable, mais il ne faut pas oublier une chose : ce monde, quel qu’il soit, se doit d’être habité par des êtres humains pour être consistant. On n’attendait pas des personnages de Black Coal qu’ils fondent en larmes ou dansent sur une table, mais leur accorder un peu d’humanité n’eut pas été un luxe.

Quand on pense que certaines critiques du web comparent Black Coal aux thrillers noirs sud-coréens d’aujourd’hui, on croit rêver : sur le fond comme dans la forme, Black Coal s’oppose en tout point aux productions du Pays du Matin Calme, dont les plus réussies bouillonnent d’émotions et prennent littéralement aux tripes (The Chaser est l’une des plus belles démonstrations du genre) et les plus ratées se compromettent dans des débordements lacrymaux et des excès d’ultraviolence tape-à-l’œil (voir Hwayi: A Monster Boy).

Pour ma part, j’ai passé avec Black Coal plus d’une heure quarante-cinq à attendre quelque chose, une intensité ou une consistance qui n’est jamais venue. Au lieu de cela, le film s’achève par une poignée de séquences prétentieuses (dont une scène ridicule dans une salle de danse) que l’on regarde avec distance, épuisé par ces figures sans vie et cette désolation affective.

Le titre original de Black Coal signifie « Feu d’artifice en plein jour ». Le film, quant à lui, évoque plutôt, à l’image de sa dernière séquence, des bruits de pétard dans un décor vide.

Elodie Leroy

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