Première partie du décryptage du programme TV français Confessions Intimes, animé par Marion Jollès Grosjean et dont l’équipe s’est fait piéger par l’humoriste du web Rémi Gaillard.

Rémi Gaillard qui piège Confessions Intimes sur TF1, c’était bien joué ! Plus qu’un simple gag, le coup monté par l’humoriste et ses complices saisissait à la perfection la bêtise et le cynisme de ce type d’émissions. Confessions intimes, C’est ma vie, Tellement vrai… Sous couvert d’émotion et de psychologie de comptoir, ces magazines-vérités qui exploitent la misère des uns et le voyeurisme des autres représentent le fléau de la télévision actuelle.

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Crise de couple, jalousie maladive, enfant ingérable, mère narcissique, mari misogyne… Pour ceux qui auraient eu la chance de ne jamais tomber sur Confessions Intimes, il s’agit d’un magazine présenté par Marion Jollès Grosjean et qui recueille les témoignages de couples ou de familles en crise. Filmés chez eux, les participants sont mis en scène dans leur quotidien. Au menu des festivités : des engueulades, du harcèlement moral et des pleurs, dans le salon, dans la cuisine ou le soir dans la chambre conjugale. De la pure trash TV doublée d’une véritable pornographie émotionnelle.

Tel est pris qui croyait prendre

« Séquences bidonnées, participants manipulés, journalistes sans scrupule ! C’est la face cachée des marionnettistes de la télé ». Tel est le carton qui clôture la vidéo making-of de « Marre de vivre avec un éternel gamin » (voir la vidéo), la farce élaborée par Rémi Gaillard et ses complices Aurélien et Ludivine. Une vidéo qui s’appuie judicieusement sur une « reconstitution » du tournage, moyen pour l’humoriste de ne pas voir son œuvre supprimée par TF1. La chaîne mène en effet une véritable chasse sur Internet pour effacer toute trace de l’épisode qu’elle a diffusé lundi 16 avril dernier. Simple coup de pub de la part de Rémi Gaillard ? Pas vraiment. Interviewé par Le Parisien (1), l’humoriste prétend avoir initié la blague pour s’amuser, mais avoir pris conscience de l’ampleur de l’escroquerie une fois la machine lancée.

Dans l’histoire, Aurélien est un fan obsédé par Rémi Gaillard et Ludivine n’en peut plus. Le jeu des comédiens, juste ce qu’il faut caricatural, est parfaitement dans le ton, au point que l’équipe de TF1 n’y a vu que du feu alors même qu’elle a passé 72h en compagnie du couple, obligé de continuer de jouer son rôle entre les prises. Un véritable coup de maîtres. Du comportement de mégère de Madame, qui hurle sur son homme à la moindre occasion, à la débilité profonde de Monsieur, Aurélien et Ludivine reproduisent avec talent la comédie des participants de ce type d’émissions. Dévoilée au moment de la diffusion du programme sur TF1, la vidéo making-of révèle ce dont on se doutait, à savoir que les scènes de ménage sont dirigées par les journalistes et recommencées si nécessaire. Mieux, le scénario serait écrit d’avance : « On avait imaginé des choses assez farfelues, témoigne le lendemain Rémi Gaillard dans Le Petit Journal sur Canal Plus (2), mais eux avaient un script encore plus fort que le nôtre ». Ceux qui croyaient encore à la véracité de ces reportages ont de quoi être rassurés : les participants de ces émissions ne sont donc pas aussi bêtes qu’ils en ont l’air !


Escroquerie ou non, il est temps que la fumisterie, la bêtise et le cynisme de ces magazines-vérités, qui ne valent guère mieux que les Secret Story et autres Anges de la téléréalité, apparaissent au grand jour. Au-delà du rire qu’elles peuvent provoquer si on les prend au douzième degré, Confessions intimes et ses avatars, tels que les effroyables C’est ma vie sur M6 et Tellement vrai sur NRJ12, représentent bel et bien le fléau de la télévision actuelle.

Tout d’abord, pour les participants. Il existe une différence entre témoigner sur un plateau télé, comme dans Toute une histoire (talk show diffusé sur France 2 et présenté par Sophie Davant), ce qui n’est déjà pas anodin, et inviter les caméras dans son quotidien. Dans le premier cas, le témoignage demeure encadré, mené par un animateur et en général centré sur un thème en particulier. Les participants dévoilent une partie de leur vie privée mais leur intimité reste préservée. Pour le public, ce genre de talk show a au moins le mérite d’explorer un sujet de société (même si le débat reste souvent au ras des pâquerettes).


Les magazines tels que Confessions Intimes et C’est ma vie, au contraire, brisent les frontières entre plusieurs sphères qui devraient rester résolument séparées : le public, le privé et l’intime. Même s’ils sont « bidonnés », ces reportages pernicieux mettent en danger les relations sociales des participants avec leur entourage, leur voisinage, leurs collègues de travail. Il est probable que les participants ne mesurent pas le prix qu’ils devront payer pour être la star d’un jour. On se souvient à ce titre d’un épisode diffusé en 2006 de 90 minutes (Canal Plus) intitulé « Dommage collatéraux de la télé réalité », dans lequel témoignaient plusieurs familles ayant participé à des programmes tels que Super Nanny, Quelle famille, Je veux maigrir ou encore Confessions intimes, justement. Les conséquences avaient été dénoncées par une association créée à l’époque pour défendre les victimes de la téléréalité : suite à la diffusion des reportages les concernant, certains se seraient brouillés avec leur voisinage, d’autres auraient reçu la visite des services sociaux. Un homme serait même allé en prison.

Dans ces conditions, pourquoi se compromettre dans ce type d’émission ? Au risque de sortir un lieu commun, l’omniprésence de l’Internet et des réseaux sociaux, combinée à la démocratisation de la vidéo à travers l’intégration des caméras dans les téléphones portables, a dangereusement banalisé l’acte de déverser ses états d’âme, ou pire, de publier des images et des prises de vues de son quotidien. Certes, il est parfaitement possible de respecter des limites. Le problème, c’est que nous ne sommes pas tous égaux devant la sensibilisation aux dangers d’une telle exposition. Si l’on ajoute à cela que certaines personnes en situation de fragilité psychologique tendent à exhiber leurs états d’âme de manière plus désordonnée, les chaînes de télévision n’ont plus qu’à fondre comme des rapaces sur leur proie. Ainsi, dans son interview pour Le Parisien, Rémi Gaillard révèle que, une fois le formulaire d’inscription rempli, il n’a fallu que 24h à l’équipe de TF1 pour se rendre au domicile d’Aurélien et Ludivine.

Un savoir-faire bien huilé

Ce qu’il y a de terrible avec ces émissions, c’est que le spectateur se laisse volontiers happer dès lors qu’il pose les yeux dessus. Depuis la supercherie de Rémi Gaillard, on peut lire ici et là des commentaires tels que « Mais enfin, on savait tous que c’était faux ! On regarde ça juste pour se moquer, c’est évident ! ». On peut toujours faire les malins mais il est temps de se montrer honnêtes : si l’on part toujours convaincus que l’on regarde ces émissions pour se délecter des phénomènes de foire montrés dans ces programmes (et ce n’est pas forcément glorieux), on s’est tous demandé comment distinguer le vrai du faux. Et on s’est tous un jour ou l’autre surpris à suivre ces histoires malgré soi. La trivialité a quelque chose de fascinant. Il est parfois plus facile, une fois la télé allumée, de laisser Confessions intimes ou Tellement vrai défiler plutôt que de regarder un documentaire d’information ou même une fiction.


Toutes forgées dans le même moule, Confessions Intimes, Tellement vrai et consort obéissent au même mécanisme, alternant scènes domestiques et témoignages en solo face à la caméra, le tout relevé par un montage efficace articulé selon la logique introduction/développement/dénouement – que l’on pourrait rebaptiser : teasing choc/étalage de merde/résolution à deux sous. Le scénario, lui aussi, est toujours bien ficelé : les scènes de ménage qui explosent à l’écran se révèlent suffisamment significatives pour permettre au spectateur de dégager petit à petit une interprétation. Ainsi, s’il se laisse prendre, le spectateur se sent impliqué tout en gardant une certaine distance, celle du témoin extérieur qui se livre à une sorte d’enquête censée le mener à la source du problème. Comme dans une série policière ! A ceci près que l’enquête ne puise ses éléments que dans le strict cadre dévoilé dans l’émission, qui lui-même se limite géographiquement à la maison des participants – claustrophobes s’abstenir, surtout compte tenu de l’abus des très gros plans destinés à forcer l’intimité avec les participants.

Croyez-le ou non, mais il arrive même que le scénario réserve un twist final. Toute proportion gardée, bien entendu, rien à voir avec le film Saw de James Wan (quoique…). Ainsi, nous avons pu découvrir mardi 16 avril un jeune couple en crise dans l’épisode « Je veux et j’exige » de Confessions Intimes. L’homme pratiquait un véritable harcèlement moral sur sa partenaire. A la fin de l’histoire, c’est-à-dire après la succession de scènes de ménage pathétiques qui formaient le corps du reportage, nous avons eu droit à notre twist final : les relations des deux jeunes gens s’étaient dégradées suite à plusieurs fausses-couches endurées par la jeune femme – nous vous passerons le cheminement glauque qui nous a amenés à cette découverte. Le spectateur est alors pris au piège : qui pourrait rester insensible ? Lorsque cet épisode a été évoqué, la jeune femme avait subitement pris dix ans.


A noter que la dimension d’enquête, avec ses péripéties et son dénouement cathartique, donne l’impression au spectateur d’avoir un semblant de légitimité à regarder ces personnes s’humilier devant les caméras. Il arrive cependant que ce même spectateur, pris d’un soudain éclair de lucidité, réalise ce qu’il est en train de regarder et se laisse envahir par la gêne (qui peut se traduire par un fou rire, une manière comme une autre d’exprimer sa gêne). Rassurons-nous, les équipes qui commettent ces programmes ont tout prévu. Comme dans un bon film popcorn américain, l’emploi de musiques tire-larmes, avec ses petites notes de piano, intervient à point nommé au moment précis où se dévoile le nœud du problème. Manipulé émotionnellement, le spectateur a presque l’impression que regarder ces émissions fait partie d’une démarche motivée par la compassion et non par le voyeurisme. Les participants apparaissent plus humiliés que jamais mais le spectateur, lui, se sent utile, valorisé.

Le scandale des psychologues

Les reportages de Confessions intimes se soldent souvent par l’intervention d’un psychologue. Au passage, si les psys squattant les talk show pour théoriser glorieusement sur les enjeux de la société sont la plupart du temps des hommes, les psys envoyés dans l’intimité des foyers sont invariablement des femmes. Il s’agit là d’un cliché sexiste typique de la télévision : les hommes s’approprient l’univers théorique et raisonnent à l’échelle globale, tandis que les femmes sont reléguées aux cas particuliers touchant exclusivement la sphère privée. Bienvenue en 2013.

Dans Confessions intimes, plusieurs psys se partagent le gâteau. Ainsi dans l’édition du 16 avril était à l’honneur une certaine Karine Grandval, femme sans âge au visage gangréné par le botox, au point qu’elle ne peut même plus sourire normalement sans que des plis non-identifiés apparaissent autour de son nez. Débarquant en bout de course telle une super-héroïne de la vie de couple, c’est elle qui a fait avouer le pot aux roses à la malheureuse (celle qui a enduré des fausses-couches à répétition). L’occasion de souligner le scandale que représentent les interventions de ces soi-disant psychologues.


Admettons que tout ce que l’on voit à l’écran soit véridique ou à peine romancé. Pour commencer, une vraie thérapie peut prendre des années et voit le patient traverser, au fil des mois, plusieurs phases émotionnelles. Le respect de ces phases est d’ailleurs important pour son cheminement. Ainsi, voir ces soi-disant psys résoudre l’affaire en une heure de temps s’apparente à une vaste plaisanterie. On penche plutôt pour un aveu d’escroquerie de la part de la chaîne. Pire. Même si on laisse le bénéfice du doute à l’émission et que l’on admet que ces séances sont véridiques, on peut légitimement supposer que les participants se trouvent ensuite dans un état de détresse psychologique encore plus grave qu’ils ne l’étaient au départ. En effet, ils ne sont pas du tout pris en charge psychologiquement après ces révélations, lesquelles suscitent forcément leur lot d’émotions a posteriori. L’un des scénarios récurrents de ces émissions étant celui de l’enfant ingérable, on n’ose pas imaginer les dégâts.

Enfin, l’intérêt de parler à un psy réside aussi dans l’assurance que les confidences ne sortiront pas du cabinet. Ce qui veut dire que voir un psy consulter devant les caméras va radicalement à l’encontre de l’éthique et des principes de base de sa profession. Quid du secret professionnel ? On imagine que les participants ont signé un contrat au sein duquel une clause protège la chaîne, et accessoirement la psy, d’une éventuelle action en justice.


Cerise sur le gâteau, Confessions intimes nous propose après la diffusion de nous rendre sur son site web officiel (3) pour y découvrir des vidéos dans lesquelles les participants nous expliquent à quel point l’émission leur a fait du bien. En ce moment même, nous pouvons y découvrir les personnages de « Miroir, Miroir, dis-moi que je suis plus belle que ma fille ! », épisode qui mettait en scène une relation toxique entre une mère narcissique et sa fille. Apparemment, suite au tournage, ça va beaucoup mieux. Sachant que l’affaire s’est soldée catastrophiquement par une opération esthétique sur la fille, on nous prend vraiment pour des neuneus.

Dans le prochain chapitre, je reviendrai sur les représentations et les « valeurs » véhiculées par Confessions intimes, Tellement vrai, C’est ma vie et consort, sur la manière dont ces programmes détruisent l’image du couple, colportent les pires stéréotypes sur les femmes et dégradent l’image des enfants. Frissons garantis.

Elodie Leroy

Retrouvez également Confessions Intimes – Partie 2 : précis scénaristique

(1) Interview de Rémi Gaillard dans Le Parisien
(2) Interview de Rémi Gaillard et de ses complices dans Le Petit Journal
(3) Site officiel de Confessions intimes

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