L’actrice japonaise Aya Ueto incarne une héroïne d’action sans pitié dans Azumi et sa suite Azumi Death of Love ! Critique d’un diptyque très fun, dont on retient surtout l’opus signé Ryuhei Kitamura.
Après le délirant Versus (2001), le claustro-disjoncté Alive (2002) et le très conceptuel Aragami (2003), Ryûhei Kitamura revient avec l’adaptation d’un manga de Yû Koyama et publié au Japon en 1994, Azumi. Mélange de films d’arts martiaux et de conte initiatique, Azumi est servi par un scénario solide et délivre une série de scènes de combat survoltée, mais maîtrisées, dont un final d’anthologie. Avec son visage enfantin, Aya Ueto possède un charisme atypique qui participe au charme de ce film d’action un peu fou, mais très facile à suivre.
Un voyage cruel et sanglant
Recueillie à l’âge de neuf ans par un maître en arts martiaux, Azumi grandit en compagnie d’un groupe de jeunes garçons. Isolés du monde extérieur, la jeune fille et ses amis sont formés par leur maître qui veut faire d’eux de redoutables combattants afin de leur confier une mission. Après plusieurs années d’entraînement, les jeunes comprennent la vraie nature de celle-ci : devenir assassins afin de supprimer tous les opposants au régime en place.
L’ouverture dévoile la rencontre d’Azumi (Aya Ueto) avec son maître (Yoshio Harada). La tonalité tragique qui n’est pas sans rappeler le magnifique OAV Kenshin, le Chapitre du Souvenir, un héros contemporain d’Azumi (le manga de Nobuhiro Watsuki est lui aussi sorti en 1994). Quelques années plus tard, au fin fond d’un bois, des jeunes garçons et filles s’entraînent au combat sans connaître le sort tragique que leur maître leur réserve.
Le choc est brutal lorsque les personnages, encore innocents, sont pour la première fois confrontés à la cruauté de leur future condition d’assassin : pour faire partie de l’équipe, ils doivent assassiner leur meilleur ami. Cette épreuve est le début d’un parcours initiatique cruel et sanglant.
Le style de Kitamura assagi
Reposant sur une narration linéaire, Azumi impose une véritable efficacité du début à la fin. Toutefois, si l’on cherche à retrouver strictement la même ambiance que dans Versus, mieux vaut passer son chemin : le destin d’Azumi s’avère tragique même si Kitamura n’a pas pu résister à introduire quelques notes d’humour décalé à travers une galerie de méchants-psychopathes complètement déjantés.
Le tour de force est de passer brusquement de la comédie à la tragédie, et inversement, sans décrédibiliser les enjeux dramatiques de l’histoire. L’exercice peut d’ailleurs s’avérer déstabilisant pour les spectateurs non-initiés au style du cinéaste : il n’est pas rare de voir s’intercaler entre deux scènes parfaitement sérieuses des épisodes absolument surréalistes, comme ce bras de fer hilarant entre deux guerriers complètement demeurés (parmi lesquels on retrouve tout de même Tak Sakaguchi de Versus, sachant qu’une pelleté d’habitués des films du cinéaste apparaissent dans le film).
A ce titre, un plan précis résume cette ambiguïté. Il implique Bijomaru, sorte de travesti tout droit sorti d’un épisode de Saint Seiya – soigneusement coiffé et maquillé, tout de blanc vêtu, il ne se déplace pas sans une rose à la main. Tandis que le jeune Hyûga (Kenji Kohashi) titube, ensanglanté, vers la jeune fille qu’il aime, Bijomaru fait son entrée dans le champ et en arrière-plan, le visage déformé par un sourire outrancièrement vicieux, au point qu’il est très difficile de garder son sérieux. Tandis que Hyûga et son amie vivent une tragédie, l’attitude moqueuse et cynique de Bijomaru prend ostensiblement en complicité le spectateur.
Pour interpréter Bijomaru, Kitamura a convoqué pour l’occasion l’inénarrable Joe Odagiri (Hazard, Shinobi), l’un des acteurs les plus anti-conventionnels de l’archipel nippon, qui semble s’en donner à coeur joie dans le rôle de ce psychopathe à la fois comique et effrayant.
Aya Ueto ange de la mort
Azumi est quant à elle interprétée par Aya Ueto, 18 ans, dont Azumi est le premier rôle sur grand écran. Son visage presque irréel de poupée contraste avec la violence extrême du film. Elle incarne à merveille la dualité de son personnage tour à tour innocent et meurtrier, sentimentale avec ses amies mais froide comme de la glace avec ses ennemis.
Contrairement à la plupart des héroïnes, Azumi n’est pas aliénée par une romance puisqu’elle tue l’homme qu’elle aime dès le début du film, tout comme la plupart des héros masculins doivent bien souvent perdre une femme qui leur est chère pour trouver leur voie en tant combattant. L’héroïne suit alors un parcours initiatique au cours duquel elle découvre l’amour, l’amitié, le sens de l’honneur mais aussi la cruauté du monde des adultes et plus précisément du monde des hommes.
Ces découvertes lui permettent d’affirmer ses propres valeurs mais aussi de réaliser le caractère irrémédiable de sa condition, cristallisée dans la séquence au cours de laquelle la douce Yae (Aya Okamoto) tente de l’initier à la féminité – leur relation est peut-être bien la véritable romance du film. Habillée en kimono et maquillée comme une femme, la tueuse apparaît soudain innocente et vulnérable, c’est-à-dire exposée à la violence masculine. Le destin fait son oeuvre : une bande de voyous les agresse sexuellement et l’oblige à reprendre les armes. Alors qu’elle découvre sa féminité, Azumi se mue en une sorte d’ange de la mort qui punit les barbares, mais aussi les hommes qui agressent les femmes.
Marquées par des influences aussi diverses que Baby Cart et Matrix, les scènes d’action misent sur le spectacle plus que sur les prouesses martiales, mais s’avère extrêmement jubilatoires. Les mouvements sont rapides, la mise en scène maîtrisée et l’on sent la montée d’adrénaline du combat. Kitamura assagit quelque peu son style (l’exubérance de Versus est mise en sourdine), mais se fait tout de même plaisir avec des plans novateurs.
Outre l’affrontement entre le Singe et l’informateur du maître, une scène qui semble tout droit sortie d’un jeu vidéo (effets sonores à l’appui), l’action utilise des mouvements de caméra inédits, comme ce fameux plan à 360 degrés qui tourne à plusieurs reprises autour d’Azumi et de Bijomaru (ce que Kitamura appelle la « caméra fantôme »). Malgré ses fantaisies, le réalisateur rend hommage aux chambara en adoptant un style plus classique, plus sobres, dès lors que le maître est mis au premier plan. Le mélange stylistique fonctionne avec une étrange fluidité.
1 femme contre 200 hommes
Enfin, Azumi doit surtout sa réputation à sa dernière scène monumentale : véritable déluge d’images survoltées, avec des cadavres qui voltigent dans tous les sens comme s’il en pleuvait, ce final dantesque met en scène Azumi contre 200 hommes enragés et s’offre une chorégraphie admirablement orchestrée, qui rivalise sans difficulté avec le climax de Kill Bill Volume 1.
Avec son esthétique et sa tonalité très « kitamuresque » et son héroïne s’appropriant les codes masculins, Azumi est un divertissement aussi généreux, porteur d’une énergie rare et d’un véritable amour des différents genres auxquels il fait référence. En ce qui nous concerne, Azumi nous a donné une furieuse envie d’attraper sur le champ un katana !
Elodie Leroy
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Azumi – Death of Love (Azumi 2)
Réalisé par Shusuke Kaneko, Azumi 2, Death or Love est la suite du film de Ryuhei Kitamura sorti deux ans plus tôt. Adapté de l’œuvre de Yu Koyama, Azumi se présentait comme un manga-live mêlant avec une rare aisance l’action, le drame et la fantaisie façon Kitamura, c’est-à-dire délirante. Le réalisateur Shusuke Kaneko (Gamera, Death Note) reprend le flambeau à la réalisation, épaulé par Yoshiaki Kawajiri (La Cité Interdite, Ninja Scroll) en tant que scénariste. L’univers du premier film est-il respecté ou travesti ? Le résultat laisse mitigé mais ne fait pas honte au précédent. Et Shu Oguri est de retour !
Azumi et Nagara sont les seuls survivants de la mission imposée par leur maître. Cette mission est cependant loin d’être achevée et les deux jeunes gens se lancent à la poursuite d’un tyran du nom de Masayuki Sanada, un homme cruel qui possède aussi de redoutables gardes du corps. Mais Azumi n’a pas dit son dernier mot.
Azumi 2, Death or Love débute juste après la fin de Azumi : l’héroïne interprétée par Aya Ueto se retrouve seule en compagnie de Nagara (Yuma Ishigaki) et il leur reste à assassiner Masayuki Sanada (Mikijiro Hira) pour achever leur mission. Dès le début du film, l’action commence, il semble qu’il n’y ait pas une minute à perdre tant pour les personnages que pour le metteur en scène. On remarque cependant immédiatement que ce dernier est nettement moins à l’aise que Kitamura pour filmer les combats qui se révèlent très confus. Mais peut-être nous réserve-t-il le meilleur pour la fin.
Azumi et Nagara vont rencontrer tout un tas de personnages aussi hauts en couleur que dans l’opus précédent et sur ce plan, l’univers du premier film est parfaitement respecté, avec cette rencontre plaisante entre décor de chambara, ambiance manga et jeu vidéo.
On retrouve avec plaisir vers la fin du film une atmosphère qui évoque Ninja Scroll, lorsque Azumi doit traverser une forêt et affronter successivement plusieurs adversaires étranges (un homme araignée, une femme dont la vitesse défie l’entendement) avec des costumes parfois à mourir de rire (celui de Dame Kûnyo surtout !) et des armes plus perverses les unes que les autres.
La palme du meilleur concept de scène revient incontestablement à l’excellent affrontement entre Azumi et l’homme araignée interprété par Tak Sakaguchi (Versus), une séquence efficace et imaginative. Quant au moment le plus chaud, il s’agit bien sûr de celui où Kozue transperce rageusement de son sabre un beau jeune homme contre un arbre, avec un air vicieux dont seule Chiaki Kuriyama (Battle Royale, Kill Bill) a le secret.
Heureusement que certaines scènes se distinguent par leur fantaisie car dès lors que les combats adoptent un style plus classique, le rendu s’avère brouillon. Non que les chorégraphies soient absentes, mais la réalisation de Shusuke Kaneko ne leur rend guère justice. La maîtrise du champ et de l’espace laisse parfois à désirer. On grimace ainsi lorsqu’un combattant encerclé par ses ennemis se retrouve caché par l’un d’eux au moment de l’attaque…
Les enjeux dramatiques sont un peu à l’image de l’action : mi-figue mi-raisin. Les fans du premier apprécieront de retrouver l’héroïne vêtue de sa légendaire cape, une héroïne qui se définit comme une sorte de pendant féminin à Kenshin et qui reste un personnage féminin atypique dans le cinéma d’action.
Pourtant, le scénariste Yoshiaki Kawajiri commet une belle faute de goût dès le début du film en tentant de « féminiser » le personnage à travers ses contacts avec des enfants. S’il y avait bien une erreur à en pas faire, c’était précisément celle d’utiliser des ressorts aussi clichés : non seulement ce genre d’attitude est incohérent avec tout ce qui a été dit dans l’opus précédent (Azumi renonçant à la féminité pour se défendre contre les violeurs de son amie), mais il eut été bien plus pertinent de la voir se montrer maladroite avec ces enfants en voulant bien faire.
Quant au développement des autres personnages, le film reste en surface. Des enjeux se dessinent ici et là pour certains d’entre eux, mais leur évolution s’arrête pile au moment où ils commencent à prendre un peu de consistance. Le cas le plus flagrant est le personnage de Kozue (Chiaki Kuriyama), dont on peine à comprendre véritablement les motivations, faute de développement. On passera sur les flash-back à rallonge et gnangnan sur Nachi.
Le film nous permet de retrouver Shun Oguri (Hana Yori Dango), qui avait été clairement lésé dans le film précédent. A l’époque, Kitamura avait recruté de jeunes acteurs sans leur préciser si leur personnage survivraient à la première scène de massacre. Le personnage de Shun Oguri faisait partie des pertes. Il réapparaît dans Azumi 2 dans un rôle mystérieux que le scénario justifie maladroitement, mais qu’importe !
A l’arrivée, Azumi 2, Death or Love laisse sur sa faim si l’on a adoré le premier opus, mais demeure un divertissement sympathique dont quelques scènes tirent leur épingle du jeu. A voir pour le fun uniquement.
Elodie Leroy
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